La Commission européenne : si mal connue, si mal comprise

Le billet de Blanche Sousi

Un jour, alors que je venais de présenter une directive à un public que je croyais assez averti, et auquel j’avais expliqué comment le texte avait été préparé et proposé par la Commission européenne, quelqu’un m’a demandé : « mais de quelle Commission parlez vous ? »…  Je n’ai jamais oublié cette question qui me montrait à quel point les institutions européennes étaient alors mal connues.

C’était il y a quelques années. Aujourd’hui,  les citoyens européens n’ignorent généralement plus l’existence même de ce qu’ils appellent parfois  « la Commission de Bruxelles », mais leur méconnaissance a pris une autre forme,  plus préoccupante : beaucoup ne la connaissent qu’à travers des projets de réformes souvent très complexes, des discours politiques qui servent des préoccupations nationales, des revendications diverses qui s’expriment dans la rue ou sur les réseaux sociaux. Et relayant ce qu’ils ont lu ou entendu, beaucoup de citoyens  la disent «antidémocratique », la croient « déconnectée des réalités » et l’imaginent comme un « monstre technocratique». Une telle vision montre combien la Commission européenne reste toujours aussi mal connue.

Antidémocratique ? C’est oublier que si la Commission a certes l’initiative des textes européens, elle n’a que le pouvoir de les proposer aux deux législateurs, c’est-à-dire le Parlement européen (élu au suffrage universel) et le Conseil de l’UE (les ministres des Etats membres). Elle propose un texte, qu’ensuite le Parlement et le Conseil examinent, amendent, et adoptent (ou rejettent).

Déconnectée des réalités ? C’est oublier qu’avant de proposer un texte, la Commission procède à de vastes études et consultations : consultations des représentants des différentes parties concernées (professionnels, consommateurs), mais aussi consultations publiques, ouvertes sur son site et auxquelles quiconque peut participer, en donnant son point de vue sur le projet de texte envisagé.

Monstre technocratique ? C’est oublier que la Commission est composée d’un collège de 28 membres, hommes ou femmes politiques – choisis en raison de leur compétence générale, de leur engagement européen et offrant des garanties d’indépendance (article 17.3 Traité sur l’Union européenne) -, issus de chacun des 28 Etats membres et que, comme dans un gouvernement, chaque commissaire, tel un ministre, a en charge un domaine (affaires monétaires, agriculture, concurrence, éducation, marché intérieur et services, etc…). Bien évidemment, comme nos ministres, chacun dispose d’une administration qu’on peut comparer à nos ministères. Oui, des fonctionnaires travaillent dans les services de la Commission (les Directions générales), de même que des fonctionnaires travaillent dans nos administrations ministérielles ;  mais ce sont les commissaires (comme tout ministre) qui prennent la décision politique de préparer (ou pas) tel ou tel texte et donnent l’impulsion de telle ou telle réforme, qu’ils portent parfois avec ténacité contre des opinions contraires.
Précisément, au-delà de la vision déformée qu’ils ont souvent, les citoyens européens ignorent aussi, et surtout, que  la Commission européenne « agit dans l’intérêt général de l’Union et prend les initiatives appropriées à cette fin » (article 17.1 du Traité sur l’Union européenne). Les commissaires ne représentent pas l’Etat dont ils sont issus : c’est un regrettable raccourci de langage que de parler du « Commissaire espagnol » ou du « Commissaire français », etc… Tous ensemble,  ils composent la Commission européenne et sous la présidence de l’un d’entre eux (actuellement José Manuel Barroso), œuvrent pour l’intérêt général européen, comme l’exige le Traité. Rien de tel pour le Conseil où chaque ministre prend le plus souvent des positions conformes à l’intérêt national de l’Etat membre qu’il représente, ni pour le Parlement où chacun des députés européens défend la ligne du parti auquel il est rattaché ou les préoccupations de ses propres électeurs. Cela est dans la logique de ces deux institutions. La Commission européenne est le contrepoids de ces tentations partisanes et gouvernementales, et c’est bien ainsi qu’il faut la comprendre. Elle est au cœur de la méthode communautaire qui fonde toute la construction européenne : elle doit veiller au respect de l’intérêt général européen.
Mais alors, comment se fait-il que les citoyens le sachent si rarement ? Peut-être parce que ceux qui, au niveau national, pourraient le leur dire, jugent plus utile de ne pas le faire. C’est tellement facile de promettre à ses concitoyens qu’on va faire prévaloir l’intérêt national face à celui des autres Etats. Sauf si après, il faut leur expliquer que cela n’a pas été possible….. Les citoyens européens méritent mieux que cela : ils sont en mesure de comprendre que l’Union ne peut se faire que dans l’intérêt général européen et que la Commission y veille.

 

Entretien avec Michel Barnier, Commissaire européen

Qu’est-ce qu’un Commissaire européen ?

Propos recueillis par Blanche Sousi
Michel Barnier est commissaire européen chargé du marché intérieur et des services depuis 2010. A ce titre, il a notamment mis en œuvre le programme de régulation financière du G20, lancé le projet d’union bancaire et relancé le marché unique. C’est son deuxième mandat à la Commission européenne après avoir été en charge de la politique régionale (1999-2004). Il a aussi été élu local de Savoie, parlementaire et plusieurs fois ministre. Nous lui avons demandé de nous expliquer, à partir d’exemples concrets pris dans l’actualité, à quoi sert un commissaire européen, les intérêts qu’il défend  et l’importance qu’auront les élections de mai  2014 au Parlement européen sur la composition de la prochaine Commission européenne.

Blanche Sousi – Les textes européens sont adoptés par le Parlement européen et le Conseil. Dès lors, à quoi sert un commissaire européen ? Expliquez nous, en prenant un exemple concret, quel est votre rôle tout au long de la procédure.

Michel BarnierLa Commission européenne a un rôle bien précis : prendre l’initiative, c’est-à-dire proposer des textes au Parlement européen et au Conseil, qui décident, puis faire appliquer ces textes.
Très concrètement, pour une proposition comme celle dite « CRD IV » qui relève les exigences de fonds propres et de liquidités des banques, nous avons commencé par ouvrir plusieurs consultations publiques, d’une durée de 12 semaines, pour recueillir tous les points de vue en présence, qu’ils viennent par exemple des banques ou d’associations de défense des consommateurs ou des contribuables.
Nous avons tenu compte des points de vue exprimés sans jamais perdre de vue l’intérêt général européen – qui ne se résume pas à la somme des intérêts particuliers ! – et nous avons proposé notre réforme le 20 juillet 2011.
Ce texte a ensuite été examiné en détail par le Parlement européen, qui représente les peuples, et par le Conseil, qui représente les Etats. A la fin de la procédure, la Commission européenne joue fréquemment les « bons offices » au sein des « trilogues », qui permettent en général de lever les dernières difficultés.
Dans le cas de CRD IV, les discussions se sont étendues sur près de deux ans, avant que le texte puisse entrer en vigueur, le 17 juillet 2013. Cela peut paraître long, mais c’est le temps de la démocratie.

B.S. – Vous êtes l’un des 28 commissaires européens composant la Commission européenne. Expliquez nous, toujours à partir d’exemples concrets, quelle est votre place au sein de ce collège y compris face à celui qui en est le Président ?

M.B. – Pour jouer son rôle, qui consiste à prendre des initiatives au centre du jeu européen, en synthétisant l’intérêt général, la Commission européenne ne se limite pas à écouter tous les points de vue : elle en débat.
C’est le but du collège des 28 commissaires qui se réunit tous les mercredis matin pour décider des initiatives à proposer. Le Président participe à ces débats en tant que primus inter pares, c’est-à-dire sans avoir nécessairement le dernier mot sur la décision, même si la voix de José-Manuel Barroso est naturellement très écoutée.
Lorsque je siège à cette grande table du Collège, je ne représente ni mon pays, ni mon parti, ni aucun intérêt individuel. J’exprime ma voix en conscience, en fonction de ce que j’estime être l’intérêt général européen.
Cela a pu me conduire ces dernières années à exprimer une voix dissonante, par exemple en faisant part de mes réserves sur le risque d’effets récessifs de politiques d’austérité trop brutales ou en m’opposant à l’autorisation des cultures de maïs transgénique.
Cette pratique du débat collégial, qui fait la force d’une institution comme la Commission européenne, doit à mon sens être renforcée.

B.S. – Votre mandat, comme celui des autres commissaires, prend fin en 2014. Une nouvelle Commission avec un nouveau Président sera donc constituée.  Expliquez nous en quoi cela est important pour les citoyens de l’Union européenne.

M.B. – Avec mes 27 collègues, nous avons pris nos fonctions en 2010, en plein milieu de la crise. Pendant quatre ans, nous avons réagi, souvent le dos au mur, en apportant les réponses nécessaires : la régulation financière, le renforcement de la gouvernance économique et budgétaire de la zone euro, la relance du marché unique.
La prochaine Commission aura une feuille de route différente : elle devra profiter de la stabilité retrouvée pour reprendre l’initiative et apporter des réponses créatives à de grands défis comme l’emploi, la place de l’Europe dans le monde et la démocratie européenne.
Pour définir cette nouvelle ambition et changer l’Europe, chaque citoyen a un rôle à jouer à travers son vote aux élections européennes de mai 2014. Pour la première fois, ces élections seront personnalisées, c’est-à-dire que les partis politiques européens présenteront à l’avance leur candidat à la présidence de la Commission.
C’est une première avancée vers davantage de démocratie européenne qui doit contribuer à un véritable débat d’idées à l’échelle de l’Union. J’encourage donc celles et ceux qui nous lisent à prendre part à ce débat et à aller voter en mai. 

La Commission européenne – Gardienne des traités et de l’intérêt général européen

La Commission européenne
Gardienne des traités et de l’intérêt général européen

Nicolas Couturier

La Commission européenne est l’une des plus anciennes institutions de la construction européenne. Créée en 1954 avec le traité CECA (Communauté européenne du charbon et de  l’acier), sous la dénomination « Haute autorité de la CECA », elle a été renommée par le traité de Rome en 1957 en « Commission européenne ».

Institution incontournable de l’aventure communautaire, elle a pour mission générale – qui sous-tend toutes ses compétences -,  de promouvoir l’intérêt général européen et de prendre les initiatives appropriées à cette fin (article 17.1 du Traité sur l’Union européen (TUE). Or, les citoyens le savent peu : appelée, souvent de manière péjorative par l’injective « Bruxelles », la Commission européenne est beaucoup décriée parfois pour des raisons justifiées, mais généralement par méconnaissance et désinformation.
L’objectif de cet article est de corriger quelque peu ce constat, en essayant de mieux faire comprendre cette institution centrale de la construction européenne.
Les compétences de la Commission sont nombreuses et il n’est pas possible ici de les présenter toutes : c’est ainsi que nous ne traiterons pas, notamment, de ses pouvoirs en matière de gestion du budget de l’UE, de financements de programmes, ou encore de représentation extérieure de l’UE.
En revanche, nous proposons de porter notre attention sur celles qui focalisent sans doute le plus la méconnaissance (son rôle de « gardienne des traités »), les critiques (son pouvoir d’initier les textes européens) et les craintes (son pouvoir renforcé en matière de coordination budgétaire).

1 – Que sous-entend le qualificatif « gardienne des traités » ?
« Gardienne des traités » est souvent l’expression utilisée pour exprimer le rôle de la Commission européenne prévu par l’article 17.1 TUE : « Elle veille à l'application des traités ainsi que des mesures adoptées par les institutions en vertu de ceux-ci. Elle surveille l'application du droit de l'Union sous le contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne ».

Mais que signifie réellement cette formule ? 
Rappelons, avant tout, que la Commission européenne est une institution qui n’a pas de lien d’attache direct avec les peuples européens. Elle représente l’intérêt de l’Union européenne, c’est-à-dire de l’ensemble des peuples de manière indifférente. Elle assure un contrepoids face aux intérêts nationaux. Bien que sa composition soit le fruit des élections européennes, elle n’est pas liée comme le Parlement, par un processus électif, et donc par la satisfaction des électeurs. Cette particularité, et le caractère indépendant de la fonction de Commissaire, lui donne l’indépendance suffisante pour veiller à l’application du droit de l’Union européenne, tiré des Traités et du droit dérivé de ceux-ci (règlements, directives, recommandations, décisions, avis). Mais elle agit toujours sous le contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) : on ne doit jamais l’oublier. L’intervention de la CJUE au sommet des institutions européennes témoigne de ce que la construction européenne vise à établir un état de droit dont la Cour est garante.
Etre gardienne des traités, c’est d’abord promouvoir une législation répondant aux besoins d’une construction européenne solide et cohérente pour l’ensemble des citoyens européens : la Commission s’assure ainsi que les propositions de textes législatifs sont conformes aux intérêts supranationaux de l’Union et non pas à un simple consensus d’intérêts nationaux ;  mais c’est aussi veiller à l’application de cette législation par les Etats membres, et plus généralement des dispositions prévues par les traités.

–  Illustration de cette mission : le contrôle de règles de la concurrence (articles 101 et suivants du TFUE).
La Commission officie, à l’échelle européenne, comme l’autorité de contrôle de la concurrence française dont la compétence est limitée au territoire national. En effet, la Commission est l’autorité qui surveille le bon fonctionnement du marché intérieur. Elle contrôle les cas de concentrations ou de fusions d’entreprises, afin que celles-ci ne perturbent par le marché en créant des entités trop dominantes. Elle veille à ce que le marché unique soit efficace, en protégeant les consommateurs des risques d’ententes ou d’abus de position dominante (cas des monopoles) que des entreprises seraient amenées à réaliser pour contrôler les prix et/ou un secteur économique. Au-delà de cette fonction de contrôle, la Commission peut sanctionner ces comportements néfastes au bon fonctionnement du marché intérieur et intérêts des consommateurs, en imposant des amendes aux entreprises concernées. Mais tout cela, répétons-le, se fait toujours sous le contrôle de la CJUE : les entreprises qui feraient l’objet d’une décision de la Commission leur infligeant des amendes peuvent contester une telle décision devant la Cour.

– Autre illustration de cette mission de gardienne des traités : si la Commission constate qu’un Etat ne respecte pas une disposition du droit de l’Union, elle peut saisir la CJUE (on parle de recours en manquement ou en carence). 
A noter qu’un Etat membre peut saisir directement la CJUE, s’il constate qu’un autre Etat ne respecte pas ses obligations envers le droit de l’Union, mais il devra préalablement saisir la Commission (article 259 TFUE).

Dans toutes les hypothèses, la Commission adresse d’abord une mise en demeure à l’État manquant à ses obligations. Cette mise en demeure ne fait, en principe, l’objet d’aucune publicité et l’État dont il est question dispose d’un délai de deux mois pour faire parvenir ses observations. Dans le cas contraire, ou si la Commission ne change pas de position après réception et examen de ces observations, elle envoie un avis motivé à l’État membre concerné. La procédure est alors officialisée par l’intermédiaire d’un communiqué de presse. Si, dans un délai de deux mois, cet avis motivé reste sans impact effectif sur la législation de l’État mis en cause, la Commission peut saisir la CJUE. Si dans son arrêt, la Cour constate qu’en effet, l’Etat a manqué à ses obligations, celui-ci devra modifier sa législation en conséquence. S’il ne le fait pas après nouvelle mise en demeure et avis motivé de la Commission, celle-ci pourra saisir une seconde fois la CJUE aux fins de voir mettre en place une sanction, sous forme d’une astreinte et/ou d’une amende (article 260 TFUE).

« Gardienne des traités » n’est donc pas seulement une expression. C’est une mission concrète de la Commission européenne, assurant l’efficacité, la bonne application et le respect du droit de l’Union européenne.

2 – Quel est le rôle de la Commission dans le processus législatif ? L’initiative législative.
Avant de l’expliquer, il faut rappeler les compétences de l’Union européenne afin de répondre à de fréquentes critiques qui lui sont adressées. En effet, l’une des grandes erreurs qui est souvent faite lorsqu’il est question de l’Union européenne en général, concerne la délimitation de ses compétences. Beaucoup de citoyens pensent que les institutions européennes, y compris la Commission, sont des organismes tentaculaires qui s’immiscent dans tous les domaines politiques, économiques et sociaux. Cette vision est fausse. Le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) distingue trois catégories de compétences : les compétences exclusives (article 3 TFUE), les compétences partagées (article 4 TFUE), les compétences d’appui (articles 5 et 6 TFUE).

Dans les domaines de compétences exclusives, les institutions européennes sont pleinement et uniquement compétentes pour légiférer ou prendre toute décision. Il s’agit de l'union douanière, des règles de concurrence du marché intérieur, de la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l'euro, de la conservation des ressources biologiques de la mer, de la politique commerciale commune.  L’Union dispose également d’une compétence exclusive pour les accords internationaux concernant ces attributions. On remarque que cette catégorie des compétences exclusives  est clairement limitée.
Dans les domaines de compétences partagées, le droit de légiférer ou de prendre toute décision appartient aussi bien à l’Union européenne qu’aux États membres. Toutefois, ceux-ci ne peuvent exercer cette compétence que dans la mesure où l’Union n’a pas encore exercé la sienne, ou a décidé de ne pas l’exercer. L’énumération de ces domaines figure à l’article 4 : on relève notamment, le marché intérieur, la politique sociale (pour certains aspects), l’environnement, la protection des consommateurs, l’espace de liberté, de sécurité et de justice, etc.
– Dans les domaines de compétences d’appui, l’Union européenne ne peut intervenir que pour soutenir, coordonner ou compléter l’action des États membres. Elle ne dispose donc pas de pouvoir législatif. L’énumération de ces domaines figure à l’article 6 TFUE : on relève notamment, la santé humaine, la culture, le tourisme, l’éducation, la formation professionnelle, la jeunesse et le sport, etc.
Il convient de souligner que dans les domaines de compétences partagées et de compétence d’appui, l’action de l’Union européenne est soumise au respect du principe de subsidiarité, prévu au paragraphe 3 de l’article 5 du TUE. Celui dispose que dans le cadre de ses compétences non exclusives, l’Union intervient seulement si les objectifs d’une action ne peuvent être atteints suffisamment par les Etats membres, mais peuvent l’être mieux au niveau de l’Union européenne.

Nous le voyons, dire que l’Union européenne et précisément la Commission européenne peuvent décider de légiférer de leur propre chef dans tous les domaines  est faux, et témoigne d’une méconnaissance de la réalité des pouvoirs de l’Union européenne.

Ceci étant précisé, comment intervient la Commission dans le processus législatif ? 
L’un des principaux pouvoirs dans un processus législatif est le pouvoir d’initiative, c’est-à-dire le pouvoir de proposer des textes. Dans le cas de l’Union européenne, seule la Commission détient ce pouvoir de proposition d’actes législatifs européens. Afin de formuler ses propositions, la Commission doit prendre en compte, comme on l’a déjà dit plus haut, les intérêts – au sens large – de l’Union et de ses citoyens conformément à son rôle de gardienne des traités, afin  de promouvoir l’intérêt général européen face aux intérêts nationaux.
Pourtant malgré ce monopole, la Commission n’est pas sourde aux projets que viendraient lui soumettre d’autres acteurs politiques, que ce soit le Parlement (art 225 TFUE) et le Conseil (ministres des Etats membres) (article 241 TFUE), ou les citoyens européens, à travers la procédure de l’initiative citoyenne (article 11.4 TUE). Elle suit également les propositions formulées par le Conseil européen (chefs d’Etats ou de gouvernement), même si cette pratique n’est pas prévue par le traité. Dans leur grande majorité, les propositions de la Commission proviennent des requêtes faites par ces différents acteurs. A ce niveau, il parait difficile de dire que la Commission ne laisse aucune place aux revendications des Etats membres et de la société civile.

Comment sont élaborées les propositions législatives de la Commission ? Nous rappelons que les propositions de texte législatif se basent sur les compétences citées ci-dessus et que, sauf pour  ses compétences exclusives, la Commission ne peut agir que dans le respect du principe fondamental de subsidiarité.
Pour élaborer ses propositions, la Commission dispose de plusieurs outils. Tout d’abord, elle est entourée d’un appareil administratif, composé de fonctionnaires spécialisés dans les domaines en question. Elle dispose également d’agences spécialisées par exemple, l’Autorité bancaire européenne (ABE), qui lui apportent des éléments et informations pour rédiger un meilleur projet de texte.
De plus, la Commission peut s’entourer d’experts dans le domaine dont relève l’acte envisagé ; par exemple des associations bancaires représentant « l’industrie bancaire», mais aussi des associations représentant la clientèle des banques. Cette phase de travail aboutit à la publication d’un rapport contenant des axes du projet envisagé.
En outre, la Commission a recours à des consultations publiques, permettant aux citoyens européens de s’exprimer et de fournir des éléments de réflexion. Chaque consultation est ouverte sur le site de la Commission le plus souvent pendant une période de deux mois. A l’issue, une synthèse est rédigée par les fonctionnaires européens, donnant d’autres idées pour la rédaction du projet de texte. A titre d’exemple, nous pouvons citer, en matière bancaire, une consultation portant sur une réforme structurelle du secteur bancaire qui s’est déroulée du 16 mai au 11 juillet 2013 et qui portait sur la recherche de plus de stabilité dans ce secteur. Six mois plus tard, le 29 janvier dernier, la Commission a adopté une proposition de règlement  visant notamment à empêcher les banques les plus importantes de pratiquer la négociation pour compte propre, activité par essence très risquée.
La Commission peut également publier des livres verts chargés d’identifier le sujet de préoccupation en présentant les différentes actions pouvant être mises en œuvre, et des livres blancs qui, eux, tranchent les choix proposés par les livres verts en optant pour une solution.
Une fois formulée de manière définitive par les services de la Commission, la proposition est soumise à l’ensemble du collège des  28 commissaires européens. Si elle est approuvée (généralement l’accord se fait par consensus, mais si besoin par vote à la majorité), elle est transmise au Conseil et au Parlement européen (qui sont les co-législateurs) conformément à la procédure législative ordinaire.

3 – Le renforcement de la coordination budgétaire.
Pourquoi ? La crise débutée en 2008 a battu en brèche de nombreux préjugés. L’un des plus importants reste que, dans l’esprit général, on ne pensait pas qu’un pays membre de l’Union européenne puisse être si proche de la faillite. Personne ne pensait que les Etats membres se retrouveraient dans une spirale infernale, cumulant déficits publics annuels élevés et explosion de la dette publique (dite dette souveraine). Face à cela, les Etats membres et l’Union européenne ont décidé de relancer une politique créée par le traité de Maastricht (1991), mais qui avait été délaissée jusqu’ici : la coordination budgétaire.

Tout d’abord, nous tenons à préciser que « coordination budgétaire » ne signifie pas supervision, ni contrôle budgétaire. Le traité de Maastricht prévoyait que les Etats s’orientent vers des politiques de convergence et de coordination budgétaire. La raison se situe sur le terrain monétaire. Nous avions, à l’époque, plusieurs Etats membres qui s’apprêtaient à partager une monnaie unique. Toutefois, ces Etats se trouvaient dans des situations économiques diverses, avec des niveaux différents en matière de déficits publics et de dette publique. Les fondamentaux économiques étaient eux aussi différents. Les médias et les politiques nous le rappellent d’ailleurs aujourd’hui, avec leurs comparaisons entre l’économie française et allemande. Pour éviter que la monnaie ne soit torturée entre des Etats présentant de telles divergences, et pour inciter chacun à aller vers une convergence budgétaire, qui viendrait renforcer la monnaie unique, les Etats et les institutions européennes projetaient d’améliorer « la coordination budgétaire».
Or, avec la crise des dettes souveraines, nous nous sommes rendu compte que la coordination budgétaire était le parent pauvre de l’Union économique et monétaire. D’ailleurs, il est vraisemblable que si celle-ci avait été plus approfondie, nous aurions « peut-être » (il ne s’agit pas de refaire l’histoire) connu des conséquences moins douloureuses, dues à la Grèce et au manque de transparence de son budget. Pour éviter de nouveaux événements de ce type et renforcer la crédibilité budgétaire des Etats membres, ceux-ci ont décidé de mettre en place une coopération budgétaire plus approfondie. Ces procédures sont régies par plusieurs règlements dits « Six-pack », « Two-pack » et le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, tous adoptés entre 2011 et 2013.

Comment s’organise cette coopération ? Qui a la compétence budgétaire des Etats membres ?
Contrairement à ce que nous avons pu lire ou entendre, ce sont les Etats membres qui ont la pleine compétence de la rédaction, de l’adoption et de l’exécution du budget national ! Et uniquement eux ! Les Etats sont les seuls à décider de leurs choix budgétaires. La Commission n’interfère pas dans ces arbitrages. Le choix des sommes allouées à la défense, à la justice, à l’emploi,… sont du seul ressort des parlements nationaux.
La mission de la Commission européenne consiste à contrôler les aspects macroéconomiques du budget. Cela signifie qu’elle veille seulement à ce que le budget national soit construit sur des bases économiques réalistes, en termes de croissance, de déficit, de dette publique,… Elle ne proposera des recommandations visant à la modification du budget national, seulement si l’Etat membre risque de ne pas respecter les engagements prévus par les traités et le pacte de stabilité et de croissance. L’étude de ces fondements économiques est importante, car les Etats pourraient recourir plus facilement à des emprunts, sur la base de prévisions économiques trop optimistes. Ils pourraient argumenter que leur dette publique se stabilisera en pourcentage du PIB, en soutenant que la croissance économique sera présente.

Quelles sont les modalités de cette coordination budgétaire ? Le semestre européen
La procédure de coordination budgétaire est dénommée « semestre européen ». Il s’agit d’un cycle de dialogues entre les institutions européennes et les Etats membres portant sur les projets budgétaires nationaux. Le calendrier est très précis.
– En mars de  chaque année, les chefs d’Etat et de gouvernement s’appuient sur l’examen annuel de la croissance, réalisé par la Commission, pour formuler les lignes directrices de l’Union. Durant cet examen, il est porté une attention sur la situation économique, les progrès réalisés concernant les objectifs prioritaires de l’UE et les projets phares de l’Union.
– En avril, les Etats présentent à la Commission européenne, leurs programmes de stabilité des finances publiques et de convergences des politiques économiques. Il est également étudié les réformes et les mesures proposées par les gouvernements pour améliorer la croissance, l’emploi, la recherche,…
– En mai/juin, la Commission évalue ces programmes et adresse, si nécessaire, des recommandations propres à chaque pays. Le Conseil de l’UE (les ministres) les examine, et le Conseil européen (les chefs d’Etat et de gouvernement) les approuve. Nous avons donc des orientations politiques proposées pour améliorer les plans budgétaires nationaux.
– Fin juin, le Conseil adopte formellement les recommandations par pays. Les Etats peuvent préparer leur projet budgétaire avec des fondements économiques et des informations, voués à peaufiner leur travail. Les législateurs nationaux ont jusqu’au 31 décembre pour adopter le budget national.

Quel est le rôle des recommandations budgétaires faites par la Commission et avalisées par le Conseil ?
Le but de ce semestre européen est de permettre aux Etats membres de construire des projets budgétaires, qui respectent leurs engagements pris vis-à-vis des traités et du pacte de stabilité et de croissance. Ces recommandations proposent des projets politiques ou des réformes, qui pourraient permettre à un Etat membre de conserver des finances publiques saines et de garantir ainsi sa crédibilité budgétaire.
Bien entendu, les recommandations de la Commission européenne, validées par le Conseil, ne sont pas des actes contraignants. Les Etats n’ont aucune obligation d’appliquer les recommandations et les réformes proposées. Toutefois, celles-ci ne sont faites que dans l’objectif de permettre aux Etats membres de respecter leur engagements budgétaires prévus par le pacte de stabilité et de croissance, en matière de déficit public et de dette publique. Il ne s’agit donc que de suggestions faites aux Etats membres, pour assainir leurs finances publiques et leur éviter, dans le cas où ils s’écarteraient des objectifs prévues par les textes européens, d’être soumis à la procédure de déficit excessif qui peut, parfois, conduire à des sanctions.

Qu’est ce que la procédure de déficit excessif et ses éventuelles sanctions ? 
Tous les Etats de l’Union européenne doivent respecter les engagements budgétaires qu’ils ont pris lors de la signature des traités et du pacte de stabilité et de croissance, et plus précisément les fameux seuils de 3% du PIB pour les déficits publics (déficit annuel) et de 60% du PIB pour la dette publique (déficits annuels cumulés) chiffres qui ont été choisis pour éviter une augmentation mécanique de cette dernière. Actuellement, l’attention de la Commission est surtout portée sur les déficits publics, étant donné que la dette publique a explosé, dans l’ensemble des Etats, durant la crise. 
S’il apparaît qu’un Etat ne respecte pas ces critères de convergence, malgré les recommandations qui lui ont été faites par la Commission et avalisées par le Conseil, ce dernier prend une décision constatant qu’il existe un déficit excessif dans cet Etat. Cette décision peut être rendue publique, et elle l’est généralement ce qui a, sans doute, des conséquences notamment pour la crédibilité dudit Etat sur les marchés financiers. C’est donc une forme de sanction. Est-ce la seule ?
Il y a là une différence entre les Etats qui font partie de la zone euro et les ceux qui n’en font pas partie. Pour ces derniers, une décision de déficit excessif, les empêche d’entrer dans la zone euro puisque le respect des critères de convergence est une condition pour adopter la monnaie unique. Cette impossibilité dure tant que la décision de déficit excessif n’est pas levée (donc après nouvel examen des finances publiques, nouveau rapport de la Commission, etc..). A part cela, ils n’encourent aucune sanction.
En revanche, les Etats membres de la zone euro qui feraient l’objet d’une décision de déficit excessif et qui persisteraient à ne pas remédier à cette situation, pourraient se voir appliquer par le Conseil différentes sanctions (amendes, dépôt ne portant pas intérêt, etc.).
Contrairement à une idée répandue, ce n’est donc pas la Commission qui sanctionne les Etats. En effet, la Commission européenne recommande au Conseil de sanctionner un Etat, qui ne respecterait pas ses engagements.  Il faut souligner que depuis le règlement dit «  Six-pack » entré en vigueur en décembre 2011, une nouveauté a été mise en place. Désormais le Conseil mettra en œuvre des sanctions, sauf si une majorité qualifiée d’Etats s’y oppose. C’est le principe de la majorité inversée. Auparavant, la décision de sanctionner ne pouvait être prise que si une majorité d’Etats votait en sa faveur. Cette modification de vote réduit ainsi l’influence des grands Etats, dont certains étaient parvenus à échapper aux sanctions de cette procédure. Encore une fois, la Commission propose mais ne décide pas !
Nous sommes loin d’une intervention directe de la Commission dans le processus de d’élaboration des budgets nationaux. Il s’agit surtout de proposer des axes qui permettraient de garantir la crédibilité de l’ensemble de l’Union européenne, et particulièrement de la zone euro, d’améliorer la convergence économique entre les différentes Etats membres et de donner un socle de statistiques économiques valables pour l’ensemble de l’Union européenne.

En conclusion, la Commission est une création originale de la construction européenne. Source de critiques, elle assure pourtant la promotion et la sauvegarde, non pas d’une corporation ou d’une classe sociale, mais d’un concept : celui de l’intérêt général européen. Elle n’est pas celle qui légifère, mais celle qui propose et exécute. Les législateurs de l’UE sont le Conseil de l’Union et le Parlement. Pour rappel, le premier représentant les différents Etats membres et leur intérêts nationaux, le second représente les citoyens de l’Union européenne, selon leurs sensibilités politiques : cela tombe à pic, car les élections européennes arrivent à grand pas…

 

 

Explications et définitions : modes de désignation des membres de la Commission européenne, livre vert, livre blanc, principe de proportionnalité, principe de subsidiarité

Modes de désignation des membres de la Commission européenne
1 – Election du Président de la Commission
Jusqu’à présent, choisi par le Conseil européen (chefs d’Etat et de gouvernement), le prochain Président de la Commission sera élu durant l'été 2014, après les élections au Parlement européen, selon la nouvelle procédure prévue à l’article 17.7 du Traité sur l’Union européenne. Désormais, les citoyens européens, par l’intermédiaire du Parlement européen, peuvent influer sur cette élection. La procédure comporte plusieurs étapes :

1ère étape –  Elections du Parlement européen dans chaque Etat membre entre le 22 mai (au Royaume-Uni par exemple) et le 25 mai (en France par exemple). Les citoyens européens votent au suffrage universel direct pour des listes présentées par les différents partis politiques nationaux, sachant que les élus de ces différentes listes se répartiront selon leurs couleurs politiques dans les différents groupes parlementaires du Parlement européen : ainsi en France, les députés élus sur une liste UMP seront dans le groupe du PPE (Parti populaire européen), ceux élus sur une liste PS seront dans le groupe des S&D (Socialistes et Démocrates), etc.
A noter que les groupes politiques européens viennent respectivement de désigner leur candidat à la présidence de la Commission européenne (Jean-Claude Juncker pour le PPE, Martin Schulz pour les S&D, Guy Verhofstadt pour les libéraux, Franziska Keller pour les verts, Alexis Tsipras pour la gauche radicale européenne). Mais l’issue va dépendre des étapes suivantes.
2ème étape –  « En prenant en considération les résultats de ces élections et après avoir procédé aux consultations appropriées » (on note que cette rédaction du Traité est suffisamment souple pour laisser la place à plusieurs interprétations et diverses négociations), le Conseil européen désigne, à la majorité qualifiée, le candidat qu’il propose au vote du Parlement européen pour être président de la Commission européenne.
3ème étape – Vote du Parlement européen sur le candidat proposé par le Conseil. Celui-ci est élu président de la Commission européenne, s’il obtient la majorité des membres qui composent le Parlement européen. A défaut, le Conseil européen dispose d’un délai d’un mois pour désigner un nouveau candidat et le soumettre au Parlement selon la même procédure.

2 – Nomination des autres commissaires européens
Le Président de la Commission étant élu, le Conseil européen établira en accord avec lui, et au vu des suggestions des Etats membres, la liste des  27 autres commissaires qui composeront la Commission. Il s’agit donc d’une proposition conjointe du Président de la Commission et du Conseil européen. Cette liste sera ensuite soumise à un vote d’approbation du Parlement européen. Après approbation, le Conseil européen nommera officiellement, à la majorité qualifiée, la nouvelle Commission dont l’entrée en fonction est prévue pour novembre 2014.

Livre vert
On appelle livre vert (dans le vocabulaire européen), le document de réflexion que publie la Commission lorsqu’elle décide de se saisir d’un sujet de préoccupation (par exemple en 2012 le  Livre vert sur le système bancaire parallèle, en 2011 le Livre vert sur les paiements par carte, internet et téléphone mobile). Un tel document a pour but d’ouvrir un débat et une consultation publique sur les différentes options possibles pour résoudre les difficultés constatées : faut-il ou non légiférer ? Dans quelle limite ? Parmi telle ou telle réforme, laquelle est préférable ? Etc.
En d’autres termes, il s’agit d’une impulsion de la Commission afin de recueillir sur un sujet précis les informations, avis, suggestions, non seulement des Etats, des responsables politiques européens, des représentants des acteurs économiques et sociaux, mais aussi de tout citoyen qui voudra participer à cette consultation ouverte sur son site.
Pour retrouver tous les livres verts ainsi publiés (dans tous les domaines)
http://ec.europa.eu/green-papers/index_fr.htm

Livre blanc
On appelle livre blanc (dans le vocabulaire européen), le document que publie la Commission – parfois à l’issue d’une consultation ouverte par un livre vert mais pas nécessairement- et dans lequel elle présente des propositions d’actions à mener à l’échelle européenne. « Feuille de route », « Lignes d’action », un livre blanc a généralement une grande force politique : à cet égard, le plus significatif est sans doute le Livre blanc « Pour l’achèvement du marché intérieur » présenté en 1985 par la Commission, alors présidée par Jacques Delors. Plus récemment, on peut citer  le Livre blanc «  Politique des services financiers sur la période 2005-2010 ».
Pour retrouver tous les livres blancs ainsi publiés (dans tous les domaines)
http://ec.europa.eu/white-papers/index_fr.htm

Principe de proportionnalité
En vertu de ce principe, énoncé à l’article 5.4 du Traité sur l’Union européenne,  « le contenu et la forme de l’action de l’Union n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités». Chaque institution de l’UE doit veiller au respect de ce principe.
Par exemple, une intervention législative ne sera pas proportionnée si un simple soutien financier ou une résolution incitant à l’action des États membres suffit.  De la même façon, les actes de l’UE – leur contenu et leur forme – doivent être en rapport avec la finalité qu’ils poursuivent. Il s’agira, entre autres, d’éviter les législations trop détaillées si cela n’est pas nécessaire.
Les consultations initiées par la Commission sont primordiales : les Etats peuvent retourner à la Commission un avis motivé contestant le caractère proportionné du texte qu’elle envisage. Un contrôle a posteriori du respect du principe de proportionnalité peut être effectué par la Cour de justice de l’Union européenne.

Principe de subsidiarité
En vertu de ce principe, énoncé à l’article 5.3 du Traité sur l’Union européenne, sauf  dans les domaines où elle a une compétence exclusive, « l’Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent être atteints de manière suffisante par les Etats membres, tant au niveau central qu’au niveau régional et local, mais peuvent l’être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, au niveau de l’Union ». Chaque institution de l’UE doit veiller au respect de ce principe.
L’idée est de privilégier le niveau le plus cohérent pour agir, en faisant de l’Union l’acteur compétent en dernier recours puisqu’elle n'intervient que s'il apparaît que l’action envisagée serait inefficace si elle était prise au niveau national.
Comme pour le principe de proportionnalité, lorsque la Commission ouvre une consultation sur un texte qu’elle envisage, les Etats peuvent lui retourner un avis motivé plaidant en faveur de leur compétence nationale, au détriment de celle de l’Union. Un contrôle a posteriori du respect du principe de subsidiarité peut être effectué par la Cour de justice de l’Union européenne.

 

Conditions pour devenir membre de la zone euro. A propos de la Lettonie

Conditions pour devenir membre de la zone euro
A propos de la Lettonie

En attendant le prochain numéro de Banque-Notes (à paraître au cours du premier trimestre), je saisis ces premiers jours de 2014 pour évoquer l’entrée d'un 18ème Etat, la Lettonie, dans la zone euro.
Cela n’est pas la première fois qu’un tel évènement se produit. D’autres Etats ont déjà fait le même chemin : l’Estonie (1er janvier 2011), la Slovaquie (1er janvier 2009), Malte et Chypre (1er janvier 2008), la Slovénie (1er janvier 2007), la Grèce (1er janvier 2001), tous ont ainsi rejoint les 11 Etats qui avaient adopté l’euro à sa création, le 1er janvier 1999.
S’il n’est pas original, l’évènement a cependant un goût particulier : en ce début 2014, la zone euro compte donc un Etat de plus… alors que quelques mois auparavant, lors des crises grecques et chypriotes, certains observateurs  pariaient qu’elle en compterait bientôt un (voire deux) de moins. La question était alors de savoir comment un Etat pouvait sortir de la zone euro… Aujourd’hui, la Lettonie nous invite à rappeler comment un Etat peut y entrer.
Les conditions, y compris de procédure, sont fixées par l’article 140 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Explication…

Mais d’abord quel Etat peut y entrer ? Ce doit être un Etat  membre de l’Union européenne. Petit Etat (2,2 millions d’habitants), situé sur les bords de la Mer Baltique, la Lettonie est membre de l’UE  depuis le 1er mai 2004.Tous les Etats de l’UE, et eux seuls, ont vocation à entrer dans la zone euro s’ils le souhaitent et s’ils en remplissent les conditions. Les autres pays ne peuvent pas y entrer, même s’ils ont décidé que l’euro a cours légal sur leur territoire (par ex. le Monténégro) ou s’ils ont conclu un accord de coopération monétaire avec l’UE les autorisant, notamment et sous certaines conditions,  à émettre des pièces en euro (Monaco, Andorre, Saint Marin, le Vatican).
Conditions à remplir ?
– avoir une Banque centrale nationale juridiquement indépendante,
– respecter des critères de convergence économique fixés par le Traité : taux d’inflation, déficit public, dette publique, stabilité de la monnaie, taux à long terme.
Il revient à la Commission européenne et à la BCE (Banque centrale européenne) d’apprécier si l’Etat concerné remplit ces conditions.
Comment la décision est-elle prise ? Voici les principales étapes de la procédure à travers l’exemple de la Lettonie.

5 mars 2013 :  la Lettonie dépose, auprès de la Commission européenne, une demande exprimant son souhait d’intégrer la zone euro.
5 juin 2013 : la BCE et la Commission européenne rendent chacune un rapport sur cette demande : selon leurs conclusions,  la Lettonie remplit  les conditions fixées par le Traité (notamment son déficit public :1,2% du PIB et sa dette publique : 40,7% du PIB), mais quelques sources de préoccupations sont signalées (par ex. sur la stabilité de son secteur bancaire).
Communiqués de presse de la BCE et de la Commission européenne :

Communiqué BCE Lettonie
Communiqué Commission Lettonie

Le même jour,  la Commission propose au Conseil ECOFIN (les 28 ministres de l’économie et des finances  de l’UE), d’autoriser la Lettonie à adopter l’euro à partir du 1er janvier 2014.
3 juillet 2013 : le Parlement européen rend un avis favorable (en émettant quelques observations)
http://www.europarl.europa.eu/oeil/popups/summary.do?id=1283738&t=d&l=fr
http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P7-TA-2013-0313+0+DOC+XML+V0//FR
28 juin 2013 : le Conseil européen en discute (les 28 chefs d’Etat ou de gouvernement de l’UE) et déclare accueillir favorablement la proposition de la Commission.
9 juillet 2013 : le Conseil ECOFIN décide que la Lettonie remplit les conditions pour adopter l’euro à compter du 1er janvier 2014. La Lettonie est donc entrée dans la zone euro. Cela signifie :
– que sa monnaie (le lats) est remplacée par l’euro  (1 euro = 0,702804 lats) ;
– que sa politique monétaire est désormais fixée par la BCE ;
– et que sa Banque centrale (la Latvijas Banka) fait désormais partie de l’Eurosystème, son gouverneur devenant membre du Conseil des gouverneurs de la BCE.
2014 verra surtout l’élection d’un nouveau Parlement européen et la constitution d’une nouvelle Commission européenne. A suivre ensemble. 

D'ici là, mes meilleurs voeux et ceux de toute mon équipe.
                                                                                                                                                                                                                                                                                     
Blanche Sousi

                                                                                                                                                                

Garantie des dépôts : le malentendu de Chypre

 

Le Billet de Blanche Sousi

« On a violé le principe européen de la garantie des dépôts bancaires ! ».
Combien de fois avons-nous lu ou entendu cela à propos du plan de sauvetage de Chypre annoncé le 16 mars 2013 ? Aujourd’hui encore, alors que les modalités de ce plan ont été modifiées, cette idée qui avait semé le trouble demeure dans beaucoup d’esprits.

Or il s’agissait d’un malentendu dont les conséquences auraient pu être dévastatrices mais qui, par ricochet, a sanctuarisé la garantie des dépôts et en a fait une « intouchable » ! Cette histoire digne d’un scénario à succès mérite d’être racontée…

L’histoire se situe donc début 2013 à Chypre. Ce petit Etat de l’UE et membre de la zone euro, est confronté depuis un certain temps à la très mauvaise situation de ses finances publiques comme de son système bancaire (qui avait subi des pertes importantes lors la crise de la dette grecque). A tel point, qu’en 2012, Chypre avait dû faire appel à l’aide internationale pour obtenir un prêt. Pendant plusieurs mois, les représentants de l’Union européenne (UE), du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque centrale européenne (BCE) – composant ensemble «la Troïka » – recherchèrent avec le gouvernement chypriote les moyens d’assurer un redressement effectif de l’Ile.  Chypre estimait qu’il lui fallait trouver 17 milliards d’euros pour faire face à ses échéances, soit l’équivalent du PIB du pays…L’UE et le FMI allaient-ils consentir à les lui prêter ? Le pays était très endetté et ne pouvait déjà pas assumer le poids de sa dette. Il paraissait dès lors difficile qu’il puisse encore supporter la charge d’un prêt d’une telle ampleur. C’est pourquoi il fut proposé de limiter le prêt international à 10 milliards d’euros, Chypre devant trouver le complément par des recettes exceptionnelles provenant d’une taxe sur les dépôts bancaires : 6,75% sur les dépôts inférieurs à 100 000 € et 9,9% sur les dépôts supérieurs.
Tel est le plan annoncé le 16 mars 2013 et que le gouvernement chypriote devait soumettre au vote du parlement.

Aussitôt c’est la révolte : la population s’insurge, crie à l’injustice, refuse d’envisager de payer pour les fautes des responsables politiques. Et soudain, à l’appui de cette contestation, une clameur surgit : « toucher aux dépôts inférieurs à 100 000 €, c’est violer la garantie des dépôts inscrite dans les textes européens ! ».
Etait-ce vrai ? Juridiquement non. Voici pourquoi.

Il n’est pas rare qu’un Etat opère un prélèvement sur les revenus de sa population : les taxes sur les salaires, les diverses contributions sociales, les prélèvements à la source sur les revenus de valeurs mobilières, en sont des exemples. La taxe sur les dépôts bancaires qu’envisageait le gouvernement chypriote n’était rien d’autre qu’une modalité d’imposition visant à assurer avec rapidité et efficacité le recouvrement d’une importante disponibilité qui manquait cruellement, soit dans les caisses du système de garantie des dépôts chypriote, soit dans les caisses de l’Etat ; mais comme le prélèvement devait se faire sur les sommes déposées en banque y compris pour des montants inférieurs à 100 000 € (moins taxés que les autres, mais taxés quand même), il a été facile à ceux qui s’y opposaient de semer la panique en faisant croire qu’il y avait atteinte à la garantie des dépôts.
Or, juridiquement, cela n’était pas le cas : la garantie des dépôts joue lorsqu’une banque ne peut plus, financièrement, faire face aux demandes de retrait de ses clients. Pour remédier à cette situation, il existe dans tous les Etats de l’UE et depuis un texte européen de 1994,  un système qui prend le relais et verse donc, dans la limite d’un certain montant (actuellement 100 000 € par client déposant et par banque), les sommes déposées en compte et dont les clients demandent le remboursement.

Il est certain que ceux qui ont élaboré le plan chypriote n’ont pas eu conscience (ce qu’on peut leur reprocher) que la taxe envisagée pouvait être vue comme une atteinte à la garantie des dépôts prévue par les textes européens depuis longtemps. Peut-être ont-ils supposé que tous les déposants accepteraient un effort important du fait que l’Etat était en quasi-faillite, comme les principales banques du pays, sans oublier aussi que les dépôts étaient fortement rémunérés ce qui avait contribué à la fois à attirer les dépôts et à affaiblir les banques.

Pourtant le malentendu était bien là…repris par certains élus dans toute l’Europe, relayé sur les réseaux sociaux et par les médias, certains journalistes ayant quand même pris soin de nuancer des propos publiés par ailleurs, en écrivant que « le plan donnait l’impression d’être une atteinte à cette garantie »….Oui, c’était une impression, mais très tenace qu’aucune explication ne pouvait effacer car si certains citoyens savaient qu’il existait une garantie des dépôts, beaucoup n’en connaissaient pas le mécanisme.  S’ils ont pu se tromper, c’est sans doute à cause de leur mauvaise compréhension du sens à donner au plafond de garantie de 100 000 €. Ce qui est garanti à chaque client, c’est le montant de ce qu’il a en compte, dans la limite de 100 000 €, au moment où la garantie est déclenchée. En dehors du cas de défaillance de la banque, l’intangibilité du montant figurant sur le compte n’est pas garantie par le mécanisme : par exemple, si un huissier vient faire une saisie de 5000 € sur un compte bancaire dont le solde est de 100 000 €, personne ne peut prétendre qu’il s’agit d’une atteinte à la garantie des dépôts. De même pour la taxe de 6,75% qui devait être prélevée sur les dépôts inférieurs à 100 000 € : elle aurait diminué le montant créditeur des comptes bancaires sans qu’on puisse dire, juridiquement, qu’il y avait là une atteinte à la garantie des dépôts. Pourtant, sous l’empire de la colère et de la peur, beaucoup de citoyens européens n’étaient pas en mesure d’écouter les voix de la raison.

Face à cette fronde, violente à Chypre mais commençant à apparaître dans d’autres Etats européens ayant un système bancaire fragilisé, un profond malaise s’empare des responsables européens et de ceux qui savent que tout système bancaire repose sur la confiance des clients envers leur banque….C’est dans ce climat que, sans surprise le 19 mars, le parlement chypriote rejette le plan et cela, à l’unanimité.

La suite de l’histoire est la présentation, le 25 mars, d’un nouveau plan comportant d’autres mesures, parmi lesquelles une forte augmentation de l’impôt sur les sociétés et une hausse des prélèvements sur les dépôts supérieurs à 100000€ ;  mais, bien sûr, la taxe sur les dépôts inférieurs à 100 000 € a disparu. C’est l’aveu implicite de l’immense erreur des rédacteurs du 1er plan de n’avoir pas imaginé qu’ils allaient donner l’impression de violer la garantie des dépôts et de vouloir faire supporter à tous, y compris les plus modestes, la responsabilité d’une déconfiture, responsabilité qui incombait aux dirigeants de l’Etat, aux autorités de contrôle comme aux dirigeants des banques (une enquête pénale est en cours…).
Mais, c’est surtout la consécration de cette garantie qui, par le jeu d’un malentendu, est devenue intouchable. Tous les déposants européens peuvent dormir tranquilles, surtout ceux qui ont 100 000 € ou moins, dans leur banque. On ne touchera pas à leurs dépôts garantis.
Telle est la leçon inattendue mais très importante de cette histoire

Entretien avec Charles Cornut, ancien Président du directoire du Fonds de garantie des dépôts

Propos recueillis par Blanche Sousi

Charles Cornut a été Délégué général adjoint de l’Association française des banques de 1992 à 1999. Lorsqu’en 1999, est créé en France le Fonds de garantie des dépôts, il en est nommé Président du directoire, poste qu’il occupe jusqu’en 2010. Simultanément, il participe aux réflexions tant européennes qu’internationales sur la garantie des dépôts, en qualité de membre du Conseil d’administration de l’European Forum of Deposit Insurers et du Conseil exécutif de l’International Association of Deposit Insurers.
Aujourd’hui membre suppléant de la Commission des sanctions de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR)  (depuis sa création en 2010), Charles Cornut est également expert près la Cour d’appel de Paris.

Nous lui avons demandé de nous expliquer à quoi sert une garantie des dépôts, comment la prise de conscience s’est faite pour mieux assurer la sécurité des déposants et quelles sont les conditions pour que le système fonctionne dans l’intérêt général.

Blanche Sousi.- Pourquoi une garantie des dépôts ?

Charles Cornut. – Le financement de l’économie nécessite que  des intermédiaires (les banques) prêtent de l’argent à moyen et long terme en utilisant des ressources collectées auprès de leur clientèle soit à moyen terme (comptes à terme), soit à court terme comme les dépôts à vue. Cette intermédiation essentielle au bon fonctionnement de l’économie  comporte des risques, celui d’insolvabilité des emprunteurs et celui lié à la transformation d’une ressource courte, liquide, en  emplois longs  illiquides. Ces risques, s’ils ne sont pas encadrés et surveillés, peuvent conduire à des sinistres de grande ampleur et donc, de fait, à l’incapacité  pour la banque  de restituer  les dépôts de la clientèle.
La pérennité de cette indispensable intermédiation repose  donc  sur la confiance du public dans la solidité d’un système bancaire à même de lui restituer en temps voulu les sommes mises à sa disposition par la clientèle. Cette confiance repose sur la pertinence de la réglementation prudentielle  – qui permet d'exiger pour chaque banque un certain niveau de fonds propres pour couvrir l'ensemble des risques qu’elle a  pris – et la qualité des contrôles interne et externe (par le superviseur en particulier). Mais rien n’est parfait, les intermédiaires peuvent frauder, les contrôleurs peuvent ne pas repérer tel ou tel type de risques, la réglementation peut perdre de sa pertinence ou un risque économique grave peut brusquement  apparaitre (comme  la crise de 2008).
L’insolvabilité de la banque est au bout de ces errements. C’est alors que doit intervenir  sans délai et sans faillir, le système de  garantie des dépôts  afin que les déposants retrouvent au moins jusqu’à un certain plafond (100000 € en Europe) l’intégralité de leurs avoirs et donc ne perdent pas confiance dans le système bancaire de leur pays  en cas de défaillance avérée d’une banque.

B.S.- La garantie des dépôts telle qu’aujourd’hui assurée, est le résultat de l’évolution d’une prise de conscience. Comment ?

Ch.C.- Chaque pays a une histoire bancaire et financière avec pour chacun des difficultés parfois très graves assumées par les Etats,  par les déposants  ou même par l’ensemble de la population. Lorsque l’Etat s’est avéré incapable d’assumer cette responsabilité, il s’en est suivi une fuite devant la monnaie (hyperinflation, dévaluation de la monnaie….ou  cachette sous les matelas….).
En France, pendant longtemps l'essentiel du système bancaire était nationalisé et les difficultés parfois graves  trouvaient solution au sein de l’appareil d’Etat ; ce fut l’exemple du Crédit Lyonnais, synthèse et symbole de tous les défauts d’un mélange entre l’Etat actionnaire, l’Etat régulateur et l’Etat contrôleur  ayant aussi, in fine, la capacité de lever l’impôt pour payer les pots cassés…La privatisation du secteur public bancaire français, comme le développement des réseaux coopératifs – ayant des mécanismes internes assurant la solvabilité du réseau –  a conduit , à la fin des années 90, à l’instauration d’un système unique  de garantie des dépôts et ce, d’autant plus que la réglementation européenne faisait aux Etats obligation d’instaurer une telle garantie.
La crise financière de 2008/2009 a révélé aux déposants français les risques potentiels d’une défaillance bancaire dont ils ont en définitive été épargnés. Mais l’extrême gravité des événements  en Irlande, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, avec parfois la mise en place d’une indemnisation massive, puis  en Espagne , en Grèce , à Chypre, a révélé   l’insuffisance des moyens en particulier juridiques à la disposition des autorités pour traiter des difficultés, qu’on peut qualifier de systémiques, sans que l’Etat soit immédiatement en 1er ligne avec pourtant un risque pour lui-même d’être défaillant devant l’énormité des sommes. La crise de 2008 a révélé  l’impérieuse nécessité de disposer de moyens juridiques et financiers d’intervention préventive c'est-à-dire avant la fermeture de la banque  défaillante et le bank-run – c'est-à-dire une panique – qui s’en suivrait  inévitablement…..avec son cortège médiatique destructeur de l’image de l’ensemble du secteur bancaire.

B.S. – Quelles sont, selon vous, les principales conditions d’une garantie des dépôts au service de la collectivité ?

Ch.C.- La garantie des dépôts est un bien collectif qui doit être considéré et géré comme tel c’est-à- dire disposant de moyens juridiques et financiers puissants à la hauteur des défis qu’il peut être amené à affronter souvent dans des délais très brefs. Il doit être suffisamment indépendant des autorités de contrôle : on voit encore trop souvent à travers le monde des systèmes de garantie des dépôts dans la mouvance trop proche de la Banque centrale  et du superviseur. Or, un système de garantie des dépôts n’est pas là pour couvrir les erreurs d’un superviseur. S’il doit en assumer sans délai les conséquences – c’est sa fonction même – pour protéger les déposants et donc  préserver la confiance du public, il doit aussi avoir la capacité de  se retourner contre le superviseur, en cas de faute lourde de celui-ci, pour en demander réparation.
Dans un même ensemble bancaire,  la garantie des dépôts doit être réellement homogène afin d’éviter une forme  malsaine de concurrence destructrice, d’où en France la création d’un système unique. Si un pas considérable a été franchi en 2009 en Europe avec l’instauration d’un même niveau de garantie partout (100 000 €), la réalité n’y est pas encore parfaite  avec une situation encore très hétérogène en Allemagne et en Autriche qui ressemble à la situation en France avant la création en 1999 d’un fonds de garantie unique, le seul a pouvoir s’afficher comme garantissant les dépôts. On peut supposer, espérer que la mise en place prochaine d’un superviseur unique conséquence directe de l’Union bancaire en cours de réalisation, conduira à cette homogénéité  symbole d’une saine concurrence.
Pour être efficace, le système de garantie doit  pouvoir intervenir de façon préventive, c'est-à-dire sans avoir à constater la faillite formelle  d’une banque mais en ayant les moyens juridiques et financiers  pour organiser  efficacement et sans faiblesse la disparition ordonnée d’une banque défaillante lui permettant ainsi de restituer aux déposants leurs avoirs. Pour cela des moyens juridiques adéquats sont indispensables ; leur introduction, par la récente loi bancaire française du 26 juillet 2013, est  une excellente chose, c’est même pour la gestion de la sécurité du système bancaire français,  beaucoup plus important qu’une séparation institutionnelle plus classique entre activités de marché et activités commerciales …..
Un autre point est essentiel : les dirigeants, c'est-à-dire aussi les membres des conseils d’administration des établissements dont la défaillance entraine l’intervention, préventive ou non, du système de garantie des dépôts doivent être tenus personnellement responsables des fautes commises dans leur gestion. Or, le champ des compétences d’un conseil d’administration est  particulièrement vaste et donc les possibilités de mise en cause de la responsabilité des dirigeants sont nombreuses : orientation de la stratégie, commerciale, contrôle interne, présentation des comptes  (et donc estimation des risques encourus, provisionnés ou non…..).

Garantie des dépôts bancaires – Comment les textes européens organisent-ils la protection des déposants ?

Audrey Turchino
Avocat au barreau de Lyon
Chargée d’enseignement à l’Université Lumière Lyon 2  

 

La crise bancaire qui sévit depuis près de 5 années a eu pour effet, au delà des répercussions directes sur l'économie réelle, d'inquiéter les clients de banques quant à la solidité des établissements de crédit et à la sécurité de leurs dépôts.
La peur de voir s'envoler les économies confiées aux banques a créé un sentiment de doute, marqué par la tentation de conserver son argent et de le retirer aux banques, considérées comme dangereuses.
Cet état d'esprit, qui peut précéder à un mouvement dit de « panique bancaire », a conduit les pouvoirs publics à rappeler l'existence d'un système de garantie des dépôts bancaires. Cela n'était toutefois pas suffisant, et il a été décidé, au niveau européen, de conforter et développer une telle garantie qui existe depuis 1994.
Le 26 mars 2013, le Président de la République, Monsieur François Hollande, a d'ailleurs affirmé que la garantie des dépôts "doit être un principe absolu, irrévocable", à l'occasion de la conférence de presse commune tenue aux côtés de Mariano Rajoy, le chef du gouvernement espagnol, dans le cadre des discussions sur la mise en œuvre d'une « Union bancaire ».

Quels textes européens ?
La garantie des dépôts bancaires résulte de plusieurs textes européens :
– une simple recommandation en 1986 n’imposant donc aucune obligation aux États membres ;
– une directive en 1994 exigeant l’instauration d’un système de garantie dans tous ces États ;
– une autre directive en 2009 améliorant la protection.
On note enfin en 2010, une nouvelle proposition de directive qui  est aujourd'hui encore en cours d’adoption, bien que le mécanisme actuel apporte déjà une protection importante aux déposants, que ces derniers doivent connaître pour sécuriser leurs économies.

En quoi consiste réellement la garantie des dépôts bancaires ?
La garantie des dépôts bancaires est un système reposant sur une mutualisation obligatoire du risque de défaillance bancaire. Il s'agit d’obliger les établissements de crédit recevant des dépôts bancaires à adhérer à un système centralisé (un Fonds de garantie des dépôts) dont l'objet est de rembourser les sommes qui ne pourraient être restituées à leurs titulaires par un établissement de crédit en faillite.
Tous les établissements de crédit participent, par une cotisation spécifique, au financement du Fonds de garantie chargé de la gestion de ces remboursements. Les sommes ainsi réunies doivent permettre, si le cas se présente, de faire face aux remboursements garantis.
Le principe qui prévaut, comme dans toute mutualisation du risque, c'est que la défaillance d'un établissement de crédit demeure un événement isolé : pour garantir la sécurité du système dans son ensemble, il faut avoir des outils adéquats pour gérer une défaillance et éviter une contagion à l'ensemble des établissements du secteur, possible en cas de panique bancaire et de retraits massifs des déposants. Il convient de disposer de sommes disponibles représentant une partie seulement des dépôts nationaux pour assurer la gestion du risque (le montant des sommes récoltées par le Fonds n’est pas égal au total des dépôts bancaires dans l’État concerné, ce qui serait économiquement impossible) : dans un pays, les Etats-Unis, plus habitué que le nôtre aux défaillances bancaires, les ressources accumulées avoisinent 1,5% du montant des dépôts.
Dans la logique de la construction du marché unique, les responsables européens ont décidé de renforcer la sécurité des déposants en imposant à chacun des États membres d’avoir un tel système de garantie des dépôts bancaires.
Dans ce contexte est née la directive du 30 mai 1994 relative aux systèmes de garantie des dépôts.
Ce texte européen avait pour ambition de permettre aux déposants de tout établissement de crédit situé dans l'un quelconque des États membres de disposer d'une sécurité minimale. Il s'agissait également d'éviter les distorsions de concurrence entre établissements de crédit qui, selon les États, étaient adhérents ou non, à un système de garantie des dépôts.
La mise en œuvre de la garantie des dépôts  a été voulue progressive, afin de ne pas fragiliser les États membres dont le système bancaire risquait d'être fortement impacté par l'instauration de nouvelles contraintes, lesquelles s'accompagnent inévitablement de charges financières spécifiques.
La directive de 1994 prévoyait ainsi que chaque État membre se dote d'un système de garantie des dépôts bancaires à hauteur de 20.000 € au minimum, et cela au plus tard le 1er juillet 1995.
Conformément à ces dispositions, les États membres ont développé des systèmes de garantie nationaux, répondant au minimum exigé. Ainsi, les différents États membres ont pu décider de fixer le montant de garantie des dépôts à des niveaux divers. Par exemple, la France avait fixé ce seuil à 70.000 €, le Danemark à 40.000 € alors que de nombreux autres s’en tenaient à la garantie minimale de 20.000 € fixé par la directive.
La garantie est applicable à chaque déposant, dans chacun des établissements de crédit auprès duquel le client a effectué des dépôts. Le montant garanti s'applique ainsi par déposant et par établissement de crédit, quel que soit le nombre de comptes bancaires sur lesquelles les sommes sont réparties au sein d'une même banque.
Au regard de la crainte pesant sur la solidité des banques européennes qui a fait suite à la crise des subprimes et aux faillites de banques que l'on croyait insubmersibles telle Lehman Brothers (le 15 septembre 2008), les dirigeants européens ont considéré que la garantie des dépôts fixée par la directive de 1994 n'était plus suffisante pour préserver la confiance du public dans la sécurité des dépôts.
Le risque d’une panique bancaire entraînant des retraits massifs de dépôts, avec pour effet de mettre les établissements de crédit simultanément dans une situation de défaillance sans possibilité de garantie suffisante, a conduit à l'adoption d'une nouvelle directive le 11 mars 2009, destinée à améliorer et renforcer la protection des déposants.
L'objet principal de cette directive a été de relever le plafond de la garantie des dépôts à 50.000 € au 30 juin 2009, puis à 100.000 € au 31 décembre 2010 et surtout d’instaurer un plafond unique de garantie en Europe alors qu’auparavant il s’agissait d’un minimum. Elle a aussi supprimé la possibilité pour chaque Etat de prévoir que les déposants ne recevraient que  90% de leurs dépôts garantis. Cette sorte de ticket modérateur à la charge des déposants, qui n’a jamais existé en France, avait contribué au Royaume-Uni lors du sinistre de la banque Northern Rock, à créer un début de panique bancaire largement médiatisé.
Ce faisant, l'Union européenne a souhaité adresser un message fort à ses ressortissants, désireuse de leur signifier la bonne santé de son système bancaire et son attachement à protéger, avant tout, la clientèle des établissements de crédit. Cette directive n’a cependant pas mis fin à la possibilité de maintenir, pour certains réseaux bancaires, des mécanismes internes assurant leur solvabilité, mais qui ne sont pas formellement des systèmes de garantie des dépôts. Ce sont des systèmes dit « équivalents ». Il en existe encore en Allemagne et en Autriche ce qui constitue une entrave à véritable homogénéité de la garantie des dépôts dans l’Union européenne, mais aussi une forme de distorsion de concurrence entre les établissements de crédit.

Comment se définit un cas de défaillance d'un établissement de crédit au sens européen ?
La garantie des dépôts ne doit pas être confondue avec un système d'assurance qui interviendrait, par exemple, en cas de fraude sur un compte bancaire.
Il s'agit de prévenir un risque lié à la défaillance d'un établissement de crédit, autrement dit à se substituer (partiellement) à une banque qui se trouve dans l'incapacité de restituer à ses clients les sommes qu’ils ont déposées et qu'ils sont pourtant en droit d'obtenir.
Selon les textes européens, un établissement de crédit est défaillant lorsque les dépôts deviennent « indisponibles » : cette indisponibilité est constatée par les autorités nationales compétentes, qu’il s’agisse d’une autorité administrative (en France, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution – ACPR) ou d’une autorité judiciaire (un tribunal), lorsqu'un dépôt « échu et exigible (…) n'a pas été payé par un établissement de crédit dans les conditions légales et contractuelles qui lui sont applicables ».

Selon les textes européens, quelle est la procédure en cas de mise en jeu de la garantie ? Dans quels délais intervient le remboursement des sommes garanties ?
La procédure devant être suivie est fixée par chaque État en fonction de droit de la faillite applicable. La directive prévoit néanmoins les conditions essentielles de l'intervention du Fonds de garantie.
En 2009, lors de la révision de la directive de 1994, les délais de remboursement des déposants touchés par la défaillance de leur établissement de crédit ont été fortement réduits. Alors que les autorités compétentes disposaient d'un délai de 21 jours pour constater l'indisponibilité des dépôts, la réforme de 2009 a fixé ce délai à 5 jours. Après le constat que leurs dépôts sont indisponibles, les clients doivent, selon les textes européens, faire une déclaration de leurs créances, c'est-à-dire informer le système de garantie national, de l'existence et du montant des dépôts entrant dans le champ de la garantie (certains dépôts pouvant être exclus, comme les dépôts en monnaie autres que celles de l'Espace économique européen). On souligne dès à présent, mais on le verra plus loin, qu’en France, les clients n’ont à ce stade aucune démarche à accomplir.  
Puis, à l'aide des données de l'établissement de crédit défaillant, le Fonds de garantie va écrire aux déposants concernés pour leur indiquer le montant de leurs dépôts qui seront pris en charge au titre de la garantie. Le déposant peut contester le décompte qui lui est ainsi  annoncé.
Le paiement par le Fonds de garantie des sommes représentant les dépôts couverts devra intervenir dans les 20 jours ouvrables à compter du constat de l’indisponibilité des dépôts par les autorités compétentes. Ce délai pourra, pour des « circonstances tout à fait exceptionnelles et pour des cas particuliers », être augmenté de 10 jours ouvrables. Avant la directive de 2009, le délai global d'intervention de la garantie pouvait atteindre 9 mois !

L'Union européenne fixe donc certaines règles. Le Fonds français va-t-il plus loin ?
Certes, la directive de 2009 fixe un plafond de garantie égal à 100 000 € dans tous les Etats membres. Mais pour les modalités de mise en œuvre de cette garantie, elle fixe des règles minimales et laisse donc une certaine latitude aux Etats membres : la protection effective en vigueur peut donc être assez différente d’un Etat à l’autre.
En France, le Fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR) va quelque peu au-delà de ces exigences minimales. Comme nous l'avons évoqué plus haut, depuis sa création en 1999, le Fonds de garantie français se charge d'informer les clients bancaires de son intervention ; ces derniers n'ont donc pas à « surveiller » l'éventuel état de défaillance de leur banque pour demander le bénéfice de la garantie. C’est le Fonds de garantie qui informe les déposants du montant de leurs dépôts indemnisables et de ceux qui ne le sont pas. Jusqu’à cette information, tout déposant dans une banque en France, mais aussi dans ses succursales en Europe, n’a aucune démarche particulière à entreprendre avant d’être informé par le FGDR du montant indemnisable.
On note au passage que la qualité de la protection des dépôts en France est encore améliorée par l'existence de mécanismes spécifiques couvrant certains produits d'épargne. En effet, les livrets A, de développement durable et d’épargne populaire bénéficient d’une garantie totale de l’État, ce qui signifie qu'en cas de faillite de la banque, le client sera remboursé de l'intégralité des sommes qu'il aura déposées sur ces livrets spécifiques.
Tous les autres dépôts (en compte, sur livret, ou plan épargne) relèvent de la garantie du Fonds conformément à la directive. Sur ce point et sur les délais, le Fonds français n’est pas soumis à des contraintes plus fortes. Nous avons toutefois rappelé qu’avant la réforme de 2009, la garantie française était bien supérieure au minimum de 20.000 € prévu par le texte européen, puisqu'elle s'élevait à 70.000 €.
Aujourd'hui, le niveau de garantie est fixé dans tous les États à 100.000 € par banque et par déposants (et non par compte) : il faut bien souligner que ce n’est pas un minimum, mais un montant que tous les États doivent respecter, sans pouvoir offrir une garantie d’un niveau supérieur. Cela évite que les clients de banques situées dans des États moins « généreux » ne soient tentés de retirer leur fonds et de les placer dans un autre État membre.
Pour le reste (procédure, mise en œuvre, délai) les législateurs nationaux ont encore une certaine latitude ce qui entraîne des divergences entre les États.

Le cadre européen de la garantie des dépôts pourrait alors conduire les clients à préférer les établissements de crédit d'un État membre au détriment d'un autre ?
Le fait que la directive impose un cadre et laisse encore un champ d'intervention important aux législations nationales pour prendre les mesures destinées à assurer la garantie des dépôts, a effectivement pour contrepartie de voir émerger une certaine « concurrence » entre les banques des États membres, surtout après la crise financière que nous connaissons. Il existe environ 40 Fonds de garantie différents sur le territoire de l'Union, dont 7 pour la seule Allemagne !
Pour cette raison, la Commission européenne a présenté le 12 juillet 2010 une nouvelle proposition de directive relative à la garantie des dépôts, en changeant de méthode. En effet, ce projet prévoit directement la procédure et les règles applicables, pour permettre d'avoir la même protection dans l'ensemble des États membres.
Ainsi, il est envisagé que, dans tous les États membres, ce soit désormais toujours le Fonds de garantie compétent qui informe les bénéficiaires de son intervention (comme en France). Le remboursement des sommes doit être encore plus rapide, puisque à réaliser dans un délai de 7 jours ouvrables (au lieu de 20 jours actuellement).
Les dépôts en monnaies étrangères hors Espace économique européen, comme le dollar américain ou le franc suisse, seraient désormais concernés par la garantie. En revanche, les États se verraient privés de la possibilité d'ajouter d'autres catégories de dépôts que celles visées par la directive (sauf pour des périodes et types de dépôts limités), le tout afin d'assurer la même protection à tous les déposants de l'Union.
L'information des clients bancaires doit également être renforcée, les banques devant leur remettre une notice indiquant les modalités de la garantie et le Fonds dont elles relèvent lors de l'ouverture d'un compte, ou porter cette information sur les relevés de compte de ceux qui sont déjà leurs clients.
Au-delà de cette amélioration considérable de la situation des déposants, les enjeux de ce projet concerne la fixation, directement au niveau européen, du montant des ressources de chacun des Fonds nationaux, et la création d'un mécanisme de « solidarité » entre les différents Fonds.
Ce sont sur ces deux points centraux que les discussions entre États membres – et même entre instances européennes – demeurent, pour l'instant, bloquées, ce qui explique que, malgré un projet défini en 2010, la nouvelle directive ne soit toujours pas adoptée.
Le texte prévoit que chaque Fonds de garantie national ait en ressources propres une somme représentant 1,5% des dépôts garantis, pour pouvoir rembourser au plus vite les déposants. Par exemple, si les dépôts bancaires dans l’État concerné sont de 100 milliards d'euros, le Fonds devrait disposer, par l'intermédiaire d'une cotisation payée par les banques elles-mêmes, de 1,5 milliard d'euros en caisse. Sur ce premier point de crispation, le Royaume-Uni est l’État le plus opposé, préférant que l'exigence soit abaissée à 1%.
Le second point de blocage est porté essentiellement par l'Allemagne et concerne la mise en œuvre d'un système de « solidarité » entre les Fonds des différents États membres. Le projet de directive prévoit en effet qu'un Fonds de garantie national confronté à des difficultés pour rembourser les dépôts d'une banque en faillite puisse emprunter de l'argent à tous les autres Fonds de garantie de l'Union, en proportion des dépôts nationaux. Berlin craint ainsi d'être contraint de participer pour la garantie d'autres États membres, et à un fort niveau au regard de l'importance de ses dépôts bancaires. Ce nouveau mécanisme serait pourtant une étape nécessaire vers la création d'un Fonds de garantie européen, ce qui est visé à terme dans le cadre de l’Union bancaire.

Cette protection des déposants, y compris entre différents États membres, ne conduit-elle pas à un effet pervers, les banques étant finalement déchargées de toute responsabilité et pouvant ainsi être tentées de gérer leurs dépôts avec un haut niveau de risque ?
La crainte de créer ainsi ce qu’on appelle un aléa moral, existe chaque fois qu’on établit une prise en charge collective d’un risque (voir par exemple les réactions actuelles concernant l'instauration d'une assurance loyers obligatoire en droit français).
Or, s’il est vrai que la garantie des dépôts vise à éviter une panique bancaire et à permettre aux déposants de recouvrer leurs fonds, il n'est pas question de décharger pour autant la banque défaillante et ses dirigeants de leur responsabilité. Comment ?
D’abord, le Fonds de garantie qui a versé les sommes garanties aux clients d’une banque défaillante, devient automatiquement créancier de cette banque pour les montants correspondants. Cela lui permet d’intervenir tout au long de la procédure de faillite de la banque pour essayer de récupérer (en tout ou partie) les fonds dont il a fait l’avance. La banque reste ainsi tenue du paiement des dépôts, qui ne sont pas « effacés » lorsque le Fonds les restitue aux clients.
Ensuite, si dans le cadre de cette procédure, il n’a pas pu récupérer tout ce qu’il avait versé aux clients au titre de la garantie, le Fonds peut agir en responsabilité contre les dirigeants fautifs afin qu’ils soient condamnés à lui payer, sur leurs deniers personnels, des dommages et intérêts.
Les banquiers ne sont ainsi pas « protégés » du fait de l'existence d'un Fonds de garantie et doivent, au contraire, faire preuve de prudence dans la gestion de l'établissement de crédit, sous peine d'être personnellement responsables d'une partie du passif de la banque en faillite.
La protection des déposants telle qu'elle est mise en œuvre aujourd'hui permet ainsi à tout client bancaire de l’Union européenne, y compris les entreprises, de bénéficier d'une garantie importante, fixée à 100.000 € par établissement de crédit.
Les différences dans les modalités de cette garantie existant entre les États membres poussent les responsables européens à envisager la mise en place
 d'un système uniforme, déployé localement, avant de parvenir à terme à la création d'un Fonds unique européen. Cela viendra compléter l'ensemble des mesures en cours d'adoption – dans le cadre de ce qu'on appelle l'Union bancaire – et tendant à résoudre les difficultés d'une banque et éviter ainsi sa faillite, ce qui est sans doute la meilleure protection des déposants. Sur ce point, le législateur français a anticipé les textes européens en donnant des pouvoirs renforcés à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et au Fonds de garantie des dépôts et de résolution.

 

 

 

Définitions et explications : Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, défaillance bancaire, dépôt bancaire, Fonds de garantie des dépôts et de résolution, Union bancaire….

Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR)
Créée par l’ordonnance du 21 janvier 2010, l’ACP est devenue l’ACPR depuis la loi du 26 juillet 2013. Elle a ainsi reçu des pouvoirs renforcés pour résoudre les graves difficultés pouvant affecter le secteur bancaire, s’ajoutant aux pouvoirs qu’elle avait déjà en matière de contrôle des activités bancaires et d’assurance.
Autorité administrative indépendante, l’ACPR est issue de la fusion, en 2010, de  l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (ACAM), du Comité des entreprises d’assurance (CEA), de la Commission bancaire (CB) et du Comité des établissements de crédit et des entreprises d’investissement (CECEI). Elle a repris les attributions de ces différents organismes : notamment, elle statue sur les demandes d’agrément (autorisation d’exercice) des établissements relevant de sa compétence et veille au respect par ces derniers, des dispositions légales et règlementaires auxquelles ils sont soumis. Elle a un pouvoir de sanctions.
Ses missions  (énoncées à l’article L.612-1 du Code monétaire et financier) ont pour objectif d’assurer la stabilité du système financier ainsi que la protection des clients et assurés des établissements du secteur de la banque et de l’assurance.
Depuis la loi du 26 juillet 2013, l’ACPR comprend un collège de résolution dont la mission est de veiller à l’élaboration et la mise en œuvre de mesures aptes à prévenir et à résoudre les crises bancaires.  Il s’agit d’éviter une défaillance bancaire afin de « protéger les déposants, d’éviter ou de limiter au maximum le recours au soutien financier public ». C’est l’application de l’adage « Too big to fail » en vertu duquel il ne faut pas laisser défaillir des banques d’une importance particulière (dites systémiques) parce que cela aurait des conséquences désastreuses sur l’ensemble du système bancaire et sur l’économie globale.
Dans ce cadre, l’ACPR peut charger le Fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR) de mettre en œuvre et financer certaines décisions qu’elle a prises pour éviter la mise en faillite d’une banque (par exemple, vente d’une partie de ses actifs).
A cet égard, le législateur français a devancé les textes européens (encore en cours d’adoption)  en instaurant tout un arsenal juridique relevant de la compétence de l’ACPR et du FGDR, et constituant ce qu’on appelle déjà un véritable droit de la résolution bancaire.
Pour en savoir plus, site de l’ACPR : http://www.acpr.banque-france.fr

Défaillance bancaire
Situation dans laquelle se trouve  une banque lorsqu’elle ne peut plus payer ses dettes et en particulier lorsqu’elle ne peut plus restituer à ses clients le montant de leurs dépôts.

Dépôt bancaire, dépôt à vue, dépôt à terme
 Au sens strict, le dépôt bancaire  est l’opération par laquelle une personne (le déposant) remet une somme d’argent à son banquier (le dépositaire ou  récepteur) qui peut librement en disposer (notamment pour accorder des crédits), mais à charge d'en restituer le montant à son client déposant.
D'une façon plus générale, on parle des dépôts d'un client auprès de sa banque pour désigner le solde créditeur de son ou de ses comptes.

On distingue le dépôt à vue qui permet au déposant de demander à tout moment la restitution de la somme déposée, et le dépôt à terme qui ne permet pareille demande qu’à une certaine échéance  (le terme) convenue lors du dépôt. Selon que le dépôt est à vue ou à terme, les sommes remises sont inscrites sur un compte à vue ou sur un compte à terme.
Le dépôt bancaire a deux effets : le banquier peut disposer des sommes déposées par son client, alors que ce dernier devient créancier de son banquier pour le montant du dépôt. Comme dans tout rapport contractuel, le débiteur doit être en mesure d’exécuter son obligation. Il s’agit donc pour le banquier d’être capable de restituer la somme déposée par le client devenu créancier. Le fonctionnement d’une banque consistant, entre autres, à mettre en mouvement les sommes d’argent qu’elle recueille (qui font l’objet de placements ou de prêts et ne sont donc pas « mises en sommeil »), le risque pour le client de ne pas se voir restituer la somme déposée apparaît d’ores et déjà. C’est autour de cette problématique que des fonds de garantie des dépôts bancaires ont été créés.

Fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR)
C’est un organisme de droit privé auquel doivent obligatoirement adhérer tous les établissements de crédit français. Il est intégralement financé par ces établissements. Il est dirigé par un directoire, mais son conseil de surveillance est composé  uniquement de représentants des établissements adhérents.
Conformément aux textes européens, son rôle est de garantir les dépôts bancaires dans le cas où une banque serait défaillante, c’est-à-dire qu’elle ne pourrait plus faire face aux demandes de restitution de ses clients. Comme partout en Europe, le montant de cette garantie est limité à 100 000 € par client et par banque. Il peut aussi intervenir de manière préventive.
Créé en France par une loi de 1999, le Fonds de garantie des dépôts est devenu Fonds de garantie des dépôts et de résolution depuis la loi du 26 juillet 2013. Son rôle a été renforcé pour intervenir avant la défaillance d’une banque. Il est compétent– en lien avec l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution – pour mettre en œuvre et financer les mesures nécessaires à résoudre les difficultés d’une banque et en éviter la faillite.
Pour en savoir plus, site du FGDR : http://www.garantiedesdepots.fr/fr/garanties-du-fgdr/la-garantie-des-depots

Intermédiation bancaire
On désigne ainsi l’activité du banquier consistant à recevoir des dépôts (ses ressources) qu’il utilise pour accorder des crédits et financer ainsi l’économie. L’intermédiation bancaire est traditionnellement le cœur du métier de banquier.

Supervision, Superviseur
Le mot supervision est la « francisation » du même terme anglais. On l’utilise souvent en pratique pour désigner  le contrôle bancaire dont sont chargées les autorités de tutelle des banques, comme en France, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Dès lors le superviseur (de l’anglais supervisor), ou contrôleur bancaire est l’autorité qui est chargée du contrôle bancaire.
L’objectif de la supervision (ou du contrôle bancaire) est de vérifier que les banques (et plus largement les établissements de crédit) appliquent correctement la législation et la règlementation qui les concernent.

Union bancaire
L’expression est apparue récemment dans le vocabulaire européen, mais elle peut prêter à confusion : il ne s’agit pas du nom d’une nouvelle banque européenne, ni d’un regroupement de banques…
L’Union bancaire est le nom donné par les responsables européens à l’ensemble des trois réformes qu’ils ont entreprises depuis 2010 pour assurer au niveau européen (et non plus seulement au niveau national) un contrôle bancaire , une résolution des crises bancaires et une garantie des dépôts bancaires.
Actuellement seul le volet contrôle bancaire est réalisé avec la création du mécanisme de supervision unique (MSU) confié à la BCE pour les banques européennes les plus importantes. Il sera opérationnel à l'automne 2014.
Les textes concernant les deux autres volets ne sont pas encore adoptés mais sont en cours de discussion au Conseil et au Parlement européen.

Entretien avec Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France

Propos recueillis par Blanche Sousi

Christian Noyer a été vice-Président de la Banque centrale européenne (BCE) de 1998 à 2002. Depuis 2003, il est membre du Conseil des gouverneurs de la BCE en sa qualité de gouverneur de la Banque de France, l’une des banques centrales nationales (BCNs) de la zone euro. Il est également membre du Conseil général du Système européen de banques centrales (SEBC) comme chacun des gouverneurs des BCNs de l’Union européenne.
Nous lui avons demandé de nous expliquer, à partir d’exemples concrets pris dans l’actualité, le fonctionnement du système et ses évolutions.

Blanche Sousi. – La BCE et les 17 BCNs de la zone euro forment l’Eurosystème, la BCE et les 28 BCNs de l’UE forment le Système européen de banques centrales.En prenant quelques exemples, expliquez-nous, dans ces différentes situations, quels sont les pouvoirs des banques centrales nationales par rapport à la BCE, mais aussi les relations des banques centrales entre elles.

Christian Noyer. – La politique monétaire unique ne concerne évidemment que les pays qui ont adopté l’euro, regroupés au sein de l’Eurosystème. A ce niveau, les décisions prises par le Conseil des gouverneurs (les 17 Gouverneurs des BCNs et les 6 membres du Directoire) s’appliquent de manière uniforme dans tous les pays de la zone euro. La BCE joue en quelque sorte le rôle d’un « capitaine d’équipe de foot » : son Président est le porte-parole de tout le système, elle centralise les données statistiques récoltées par les BCNs, elle est le point de rencontre de l’Eurosystème. Mais le système fonctionne de manière décentralisée : les BCNs sont impliquées dans les préparations des décisions du Conseil des gouverneurs et elles en assurent la mise en œuvre au niveau national. Par exemple, quand le Conseil des gouverneurs décide de fournir de la liquidité à trois ans aux banques, ce sont les BCNs qui réalisent concrètement les opérations, qui analysent la qualité des garanties apportées, etc.

Certaines BCNs ont, par ailleurs, la responsabilité – exercée seule ou en coopération avec d’autres BCNs – de missions pour le compte de tout le système : la fabrication des billets de banque par exemple, ou la gestion de certains dispositifs techniques. Enfin, les BCNs exercent parfois des missions purement nationales, qui n’ont pas de lien direct avec la politique monétaire. La Banque de France, par exemple, gère les dossiers de surendettement des particuliers.
Quant au SEBC, il s’apparente à un organe de coopération monétaire au sein de l’UE. Le Conseil général (les Gouverneurs de l’ensemble des Etats membres de l’UE, le Président et le vice-Président de la BCE) se réunit tous les trimestres.

B.S. – L’indépendance de l’Eurosystème à l’égard des Etats membres de la zone euro est un principe fondamental prévu par les Traités. Expliquez-nous comment, en pratique, s’exprime cette indépendance.

Ch.Noyer  – L’indépendance des banques centrales repose sur un consensus théorique et pratique très fort : la politique monétaire a pour but le maintien d’une inflation faible et stable, incompatible avec les tentations politiques de stimulation de l’activité à court terme.
Elle s’exprime d’abord par le statut personnel de chacun des membres du Conseil des gouverneurs de la BCE : nous avons tous des mandats longs et irrévocables. Une particularité de la BCE est que la responsabilité des décisions prises est collégiale et non individuelle comme à la Banque d’Angleterre par exemple. Les opinions individuelles des Gouverneurs sont censées ne pas être publiques, ce qui, dans les faits, renforce notre protection contre d’éventuelles ingérences politiques. Le Traité nous interdit de prendre ou de recevoir des instructions de la part non seulement des gouvernements, mais aussi des institutions européennes, comme la Commission ou le Conseil.
La crise, en renforçant les responsabilités portées par les banques centrales, a toutefois multiplié les risques de brouillage des limites entre politiques monétaire et budgétaire. Il faut donc aujourd’hui rester vigilant pour préserver cet acquis extrêmement précieux.

B.S. – Face à la crise financière que nous avons traversée, la BCE a montré sa capacité à restaurer la confiance dans la zone euro. Elle a notamment adopté des mesures dites « non conventionnelles ». Qu’est ce que cela signifie ?

Ch.Noyer – Les mesures dites « conventionnelles » sont les mesures qui touchent les taux d’intérêt fixés par la BCE. Jusqu’à la crise, cet instrument était prédominant dans notre action. En montant ou en baissant les taux, nous parvenions à remplir notre objectif de maintien de la stabilité des prix. Quand la crise est arrivée, les choses se sont compliquées. D’une part, parce qu’une fois baissés à des niveaux très bas, les taux ne peuvent plus guère être descendus davantage. D’autre part, parce que les dysfonctionnements des marchés financiers empêchaient la bonne transmission de nos mesures conventionnelles à l’économie. Il a donc fallu innover et c’est ce que nous avons fait dans toutes nos mesures dites « non-conventionnelles ».
Elles peuvent se classer en deux grandes catégories. Les mesures de soutien à la liquidité bancaire, pour permettre aux banques de continuer à prêter : nous avons mis en place une  politique d’offre de liquidité en quantité illimitée dès la fin 2008, en contrepartie de garanties apportées par les banques plus larges qu’auparavant, et pour une durée plus longue, allant jusqu’à trois ans. Et les mesures d’intervention sur les marchés, par achats de titres, notamment de dette souveraine, sur le marché secondaire (donc auprès d’investisseurs, pas directement auprès des États) : ce sont les programmes « SMP » (Securities Markets Programme), de plus de 200Mds€ et « OMT » (Outright Monetary Transactions), annoncé mais non encore utilisé. 

Zoom d’une juriste sur la Banque centrale européenne (BCE)

Le Billet de Blanche Sousi

La « BCE devrait… », la « BCE n’a qu’à…. », mais aussi « la BCE ne devrait pas… », elle « n’aurait pas dû… » ; combien de fois entendons-nous ou lisons-nous de tels regrets contradictoires en forme de reproches ? Ces critiques émanent d’observateurs, d’experts ou de responsables politiques qui oublient souvent de dire que la BCE agit conformément aux textes qui l’organisent (le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne -TFUE – et ses statuts prévus dans le Protocole n°4 annexé au TFUE).
Cet oubli est utile car il permet de reporter sur la BCE la responsabilité de certaines difficultés que rencontrent nombre d’Etats membres : les problèmes d’emploi, de croissance, de dettes publiques seraient résolus « si la BCE … ». Les citoyens mal informés approuvent et vont relayer ce discours sans bien avoir compris les règles qui gouvernent la BCE et l’ensemble du système qu’elle constitue avec les banques centrales nationales (BCNs). D’ailleurs, ils ne savent plus très bien quel est désormais le rôle de ces BCNs. Il est vrai que la matière est complexe ; pourtant si l’on regarde de près ses aspects strictement juridiques, on est mieux armé pour la comprendre. Quelques zooms suffisent.
Zoom d’abord sur la distinction entre l’Eurosystème et le SEBC (Système européen de banques centrales). Elle s’explique simplement par le fait que tous les Etats membres de l’Union européenne n’ayant pas adopté l’euro, les compétences qu’ils ont transférées au plan européen ne sont pas les mêmes pour tous : politique monétaire unique pour les uns, simple coordination monétaire pour les autres.Il faut donc distinguer deux ensembles.

1 – L’ensemble constitué par la BCE et les seules BCNs des Etats membres dont la monnaie est l’euro (17 à ce jour) : c’est l’Eurosystème. Il définit et mène la politique monétaire de la zone euro. Son organe de décision est le Conseil des gouverneurs composé du Directoire de la BCE et des gouverneurs de chacune des 17 banques centrales de la zone euro.
Dès qu’un Etat membre de l’UE adopte l’euro, sa banque centrale nationale entre dans l’Eurosystème, et son gouverneur dans le Conseil des gouverneurs : ce sera le cas pour la Lettonie au 1er janvier 2014.
2 – L’ensemble constitué par la BCE et les BCNs de tous les Etats membres de l’UE (28 depuis le 1er juillet 2013 avec l’entrée de la Croatie dans l’UE) : c’est le SEBC. Il veille notamment à favoriser la coopération entre toutes les BCNs et la coordination des différentes politiques monétaires au sein de l’UE. Son organe de décision est le Conseil général composé du Président et du vice-Président de la BCE et des gouverneurs des 28 banques centrales.
Zoom ensuite sur l’organisation juridique de la BCE. La BCE est organisée un peu comme une société. Elle a un président (actuellement Mario Draghi), un directoire, mais aussi des actionnaires qui détiennent donc son capital social. Mais qui sont ces actionnaires ? Ce sont toutes les banques centrales nationales des Etats membres de l’Union européenne et elles seules : les Etats (ni personne d’autre d’ailleurs) ne peuvent détenir une part du capital social de la BCE. Quant à la part détenue par chaque BCN, elle est fixée en fonction de la population et du produit intérieur brut de l’Etat concerné (article 29 des statuts).
A noter que les BCNs des Etats  membres dont la monnaie est l’euro doivent verser (on dit« libérer ») intégralement le montant de leur part de capital, contrairement aux autres BCNs qui n’en libèrent qu’un faible pourcentage (pour participer aux frais communs sans rapport avec la politique monétaire unique).
Il résulte de la structure de son capital, que la BCE est une filiale commune des 28 BCNs. Cela peut surprendre, mais c’est ainsi. Le zoom suivant permet de voir qui fait quoi.
Zoom sur les organes de décision de la BCE. Il y en a trois : le Directoire, le Conseil des gouverneurs et le Conseil général.
– Le Directoire comprend six membres : le Président de la BCE, le vice-Président et quatre autres membres, tous nommés par le Conseil européen (chefs d’Etat et de gouvernement), après consultation du Parlement européen, pour une durée de 8 ans non renouvelable (gage d’indépendance). Le Directoire assure la gestion courante de la BCE et met en œuvre les décisions arrêtées par les deux autres organes de décision. A ce titre, il « donne les instructions nécessaires aux BCNs », mais il ne faut pas y voir un pouvoir de contrôle qu’exercerait la BCE (la filiale) sur les BCNs (les mères) ce qui serait contraire aux pouvoirs généralement accordés aux sociétés filiales. Il s’agit seulement de permettre la bonne exécution, au plan national, des décisions prises par le Conseil des gouverneurs et le Conseil général.
– Le Conseil des gouverneurs : organe de l’Eurosystème, on rappelle qu’il comprend le Directoire de la BCE et les gouverneurs des BCNs des Etats dont la monnaie est l’euro. Présidé par le Président de la BCE, il prend ses décisions par consensus ou, lorsque nécessaire, par vote à la majorité, chaque membre ayant une voix (sauf pour les décisions concernant le capital de la BCE pour lesquelles s’applique la pondération correspondant à la part détenue dans le capital social).
– Le Conseil général : organe du SEBC, on rappelle qu’il comprend le Président et le vice-Président de la BCE et les gouverneurs de toutes les BCNs de l’UE. Ses décisions sont également prises par consensus, ou si nécessaire, par vote à la majorité, chaque membre ayant une voix.
Zoom enfin sur l’indépendance. Elle est prévue par les textes et s’exprime essentiellement de deux façons.
1- Il est interdit à la BCE, aux BCNs et aux membres du Directoire, de solliciter ou de recevoir des instructions non seulement des institutions de l’Union européenne, mais aussi des gouvernements des Etats membres ou de tout autre organisme (art.130 TFUE). Ainsi le discours d’un ministre ou d’un chef d’Etat, par exemple, qui demanderait à la BCE de changer sa politique monétaire, serait une violation du Traité.
2- Il est interdit à la BCE et aux BCNs de financer les institutions de l’Union européenne mais aussi les Etats membres (administrations, organismes, entreprises publiques) (art.123 TFUE et article 21 des statuts). La BCE assure les besoins de financement des établissements de crédit, mais pas des Etats. C’est pourquoi elle ne peut pas acheter directement au moment de leur émission (sur le marché dit « primaire ») des titres d’Etats (par exemple des bons du Trésor français)  même si les Etats le lui demandent ! L’interdiction expressément inscrite dans le Traité lui assure son indépendance. En revanche, elle peut acheter de tels titres lorsqu’ils sont revendus par des investisseurs (sur le marché dit « secondaire »).

Oublier ces règles et principes juridiques prévus dans le Traité (en particulier l’indépendance) lorsqu’on porte un jugement sur la politique menée par la BCE, c’est risquer de se tromper. Le faire volontairement, c’est tromper les citoyens mal informés.

 

 

 

 

 

 

BCE : rôle sur la liquidité et la solvabilité des banques commerciale

La BCE et les BCNs
Quel est le rôle de l’Eurosystème
sur la liquidité et la solvabilité des banques commerciales ?

 

Nicolas Couturier
(un remerciement particulier à Gisèle Reynaud, Maître de conférences en sciences économiques à l'Université Lumière Lyon 2, pour ses conseils avisés).

(Les mots suivis du signe (*) sont définis dans la rubrique Définitions et explications)

Quelques éléments de terminologie pour poser le décor
On rappelle d’abord que l’Eurosystème est l’ensemble constitué de la Banque centrale européenne (BCE) et des Banques centrales nationales (BCNs) des Etats membres de l’Union européenne ayant adopté l’euro (17 à ce jour). Le système fonctionne de manière décentralisée : les décisions sont prises par la BCE, mais elles sont exécutées par chacune des BNCs concernées.
Quant à l’expression « banques commerciales », elle est utilisée dans le langage courant, pour les distinguer des banques centrales. L’expression désigne toutes les banques au sens large (et non au sens juridique) : qu’elles soient ou non sous forme mutualiste, qu’elles aient une clientèle de ménages, d’entreprises ou d’investisseurs, qu’on les appelle banques de détail, banques de dépôts, banques d’affaires ou d’investissement, ou plus généralement établissements de crédit, peu importe. Les termes « banques commerciales » recouvrent toutes ces catégories.
Comme toute entreprise, une banque commerciale peut rencontrer deux types de difficultés :
– elle peut manquer de trésorerie, de « liquidités », pour faire face à des échéances à très court terme. On dit alors qu’elle n’est plus liquide ;
–  elle peut détenir un actif total (trésorerie, créances à court, mais aussi à moyen et long terme, biens immobiliers) inférieur au total de son passif (toutes ses dettes même à très long terme). On dit alors qu’elle n’est plus solvable.
Une entreprise qui a des difficultés de trésorerie, va demander à son banquier (une banque commerciale) de lui accorder un découvert ou un prêt, le plus souvent contre remise de créances (lettres de change, billets à ordre, etc.…) ou d’autres garanties. Mais si elle est insolvable, sa faillite n’est pas loin et son banquier ne peut rien pour elle.
On retrouve un scénario comparable lorsqu’une banque commerciale se trouve confrontée à ces deux difficultés.
1 – Cas où une banque commerciale a des difficultés de trésorerie.
Comme toute entreprise, elle va rechercher les liquidités qui lui manquent. Elle peut les trouver auprès d’autres banques commerciales qui, ayant des excédents de liquidités, cherchent à les placer (c’est le marché interbancaire) ; mais il arrive qu’elle n’en trouve pas parce qu’aucune banque ne lui fait confiance, sauf à des conditions trop onéreuses : le taux qui lui est demandé est trop élevé et elle ne peut emprunter à ce prix. Mais alors ? C’est là qu’entre en jeu la banque centrale dont elle relève.
En effet, toute banque centrale a pour rôle fondamental d’assurer la stabilité du système bancaire, c’est-à-dire qu’elle doit veiller à ce que les difficultés de telle ou telle banque commerciale ne créent pas de difficultés aux autres, ce qui pourrait déstabiliser l’ensemble, puisqu'une banque qui ne peut pas payer ce qu'elle doit à une autre banque, risque de la rendre à son tour non liquide, et ainsi de suite. Il faut donc impérativement éviter ce risque de contagion à tout le système, appelé « risque systémique ». Pour remplir ce rôle, toute banque centrale fournit aux banques commerciales les liquidités dont elles ont besoin, mais cela, bien sûr, contre rémunération et garanties : elle est la « banque des banques ». Les banques centrales assurent donc le refinancement des banques commerciales lorsque le marché interbancaire ne peut satisfaire leurs besoins de liquidités.
Mais les banques centrales peuvent-elles ainsi injecter des liquidités sans contrainte ?
La réponse est à nuancer. Certes une banque centrale peut injecter des liquidités pour de multiples raisons, mais elle doit veiller à ce que son action sur la liquidité des banques commerciales soit en cohérence avec la masse monétaire présente sur le territoire. A cela s'ajoute une autre limite : celle du contrôle de la stabilité des prix, autrement dit de l’inflation. La coordination entre ces diverses missions demande aux banques centrales de savoir jouer quelques fois un rôle d'équilibriste. On verra plus loin avec quels outils la Banque centrale européenne accomplit cet exercice de haute précision.

2 – Cas où une banque commerciale est insolvable.
Comme pour toute entreprise, son banquier, donc la banque centrale dont elle dépend, ne peut rien pour elle ; elle sera mise en faillite… (sauf si les responsables politiques de son pays décident de la sauver grâce aux finances publiques, et donc aux frais des citoyens). 
L’une des meilleures illustrations de cette non-intervention d’une banque centrale en cas d’insolvabilité d’une banque commerciale, concerne la faillite de la banque Northern Rock en 2008 au Royaume-Uni. Il nous semble intéressant de relever au passage, qu’il s’agissait d’une banque de dépôts. A l'heure où le credo de la séparation des activités bancaires est prôné par plusieurs intervenants de tout bord, ce cas montre que même les banques de dépôts, souvent considérées comme plus solides que les banques d'investissement, peuvent se retrouver face aux plus graves difficultés. La banque Northern Rock fit appel à sa banque centrale, la Banque d'Angleterre, pour se refinancer, étant donné qu'il lui était impossible d'accéder à des liquidités sur le marché interbancaire : les autres banques n’avaient pas confiance dans les garanties qu’elle leur proposait car son bilan laissait profiler une augmentation des créances douteuses.
Or, la Banque d'Angleterre refusa de refinancer la Northern Rock, c'est-à-dire de lui accorder les liquidités qui lui étaient nécessaires, au motif qu'elle ne souffrait pas d'un problème de liquidité, mais d'un problème de solvabilité. Autrement dit, le sauvetage de cette banque n'était pas de la compétence de la Banque centrale britannique, et cela quelles qu’en soient les conséquences sur l'ensemble du système. Cette position était conforme aux compétences traditionnellement reconnues aux banques centrales.  La BCE était sur la même ligne.
Un autre exemple qui a marqué tous les esprits, est celui de la banque Lehman Brothers que le Trésor américain et la Banque fédérale américaine ont laissé se déclarer en faillite, en septembre 2008
Cependant, la crise sévère qui a suivi a fait évoluer les positions. En effet, les conséquences de ces défaillances bancaires, parmi d’autres moins médiatisées, ont été si préjudiciables qu’il a paru nécessaire aux responsables politiques de voir comment les différentes banques centrales pourraient en amont, prévenir et éviter de tels désastres. Les autorités européennes ont ainsi préparé une réforme importante connue sous le nom d’Union bancaire qui donne désormais à la BCE une nouvelle mission : celle d’assurer la stabilité de l'ensemble du système bancaire en surveillant la solvabilité des banques commerciales.
Nous verrons comment,  mais après avoir d’abord, décrit sa mission traditionnelle : assurer la liquidité des banques commerciales, tout en contrôlant la masse monétaire et l’inflation.

I – La mission traditionnelle de la BCE : assurer la liquidité des banques commerciales en contrôlant la masse monétaire et l’inflation de la zone euro

Si la BCE doit assurer la liquidité du marché interbancaire, elle doit aussi veiller à ce que la masse monétaire présente sur ce marché soit en quantité proportionnée à la production de richesse, et non pas en quantité illimitée. Dans le cas contraire, cela risquerait d’entraîner une augmentation générale des prix, tout aussi préjudiciable au bon développement de l'économie de la zone euro.
La BCE est responsable de la politique monétaire de la zone euro, avec pour objectif précis, prévu par les traités, la stabilité des prix (à un rythme annuel qu’elle a fixé à 2% d'inflation). D'ailleurs, cet objectif de stabilité des prix forme la première priorité de la BCE. Sur un plan international, elle est la seule banque centrale au monde à défendre un tel objectif. Certains lui reprochent même de ne pas se soucier d'autres variables économiques, comme  la croissance et l'emploi. Au-delà du fait que cet objectif est expressément prévu dans les traités, ce choix s’explique par le fait que la BCE est une banque centrale relativement jeune (à peine 13 ans) et qu’elle doit asseoir sa crédibilité. Nous pouvons affirmer qu'elle a gagné une certaine respectabilité : nombreux sont ceux qui lui demandent d'agir pour des raisons diverses et parfois même contradictoires.
Quels sont les outils de la BCE pour mener la politique monétaire de la zone euro ?
La BCE gère essentiellement cette politique monétaire en fixant les taux auxquels les banques commerciales vont obtenir (ou déposer) des liquidités auprès d’elle ou plus exactement auprès de la Banque centrale nationale (BCN) de la zone euro dont elles relèvent. En effet, comme on l’a déjà souligné, l’Eurosystème fonctionne de manière décentralisée : les taux et conditions des opérations sont fixés par la BCE et sont identiques pour toute la zone euro, mais les opérations sont exécutées au niveau national par les BCNs. Chaque banque commerciale dispose d'un compte auprès de Banque centrale nationale dont elle dépend : les banques françaises ont chacune un compte à la Banque de France, les banques allemandes à la Bundesbank, etc… .
Les taux fixés par la BCE sont appelés les taux directeurs* et il en existe trois : le taux de refinancement* (qui est le principal outil de la politique monétaire de la BCE), le taux de la facilité de prêt marginal* et le taux de la facilité de dépôt*. Ils correspondent à différents types d’opération. Ce qu’il est important ici de comprendre, c’est que certaines de ces opérations sont faites à l’initiative de la BCE, ce sont les opérations principales de refinancement, et d’autres le sont à l’initiative des banques commerciales, ce sont les facilités permanentes. Cela exige quelques explications…
Les opérations principales de refinancement*
Chaque semaine la BCE propose de mettre à la disposition des banques commerciales, sous forme de prêt, une certaine quantité de liquidités (on parle d’opérations open-market). Pour ce faire, elle a recours à une méthode toute particulière : « les appels d'offre ». Toute banque commerciale intéressée fait une proposition sur la quantité de liquidités qu’elle souhaiterait et sur le taux qu'elle accepterait de payer à la BCE en rémunération de ce prêt. La BCE va répondre aux propositions en utilisant une procédure d'enchères  (dite « à l’américaine »). Elle sert d'abord les banques qui ont accepté de payer le taux le plus élevé. Puis elle sert les autres propositions, peu à peu jusqu'au « taux plancher » qu'elle a fixé pour l'enchère et jusqu'à ce que le montant total des liquidités qu'elle a souhaité mettre en circulation soit atteint. Il faut noter que c’est la BCE qui fixe la quantité de liquidités qu’elle propose de mettre sur le marché et le taux plancher dit « taux primaire de refinancement » (actuellement il est très bas à 0,50%), mais que chacune des banques dont l’offre aura été retenue, payera le taux qu’elle aura proposé dans cette procédure d’enchères.
Les facilités permanentes
Contrairement aux opérations principales de refinancement, ce sont des opérations qui sont réalisées à l’initiative des banques commerciales et non pas à celle de la BCE. Comme leur nom l’indique, elles peuvent être faites en permanence (chaque jour).
Celles-ci se font donc à la discrétion des banques commerciales qui peuvent obtenir un prêt ou déposer des liquidités, auprès de la Banque centrale nationale dont elles relèvent. Bien sûr, ces deux opérations se réalisent selon un taux d’intérêt rémunérateur. Lorsque la banque commerciale dépose des sommes sur son compte, ces sommes sont rémunérées au taux de la facilité de dépôt. Tandis que si elle vient à emprunter des liquidités à très court terme, elle emprunte au taux de la facilité de prêt marginal.  Comme pour les opérations principales de refinancement, les prêts de liquidités sont accordés à la banque  commerciale contre remise de garanties (créances répondant à certaines exigences de qualité).
Ces facilités permanentes ont toutefois un caractère assez exceptionnel et d’ailleurs les taux correspondant ne sont pas attractifs. La facilité de prêt permet de corriger le manque de refinancement, dans le cas où une opération principale de refinancement n'aurait pas suffi à satisfaire les besoins d’une banque commerciale, ou en cas de  besoin urgent et immédiat de liquidités. Quant à la facilité de dépôt, elle permet à une banque commerciale de placer ses liquidités à un taux minimum lorsqu’elle ne trouve pas de placements suffisamment rémunérateurs sur le marché….sauf qu’actuellement ce taux est de 0%, ce qui signifie que la BCE incite les banques commerciales à prêter leurs excédents de liquidités à des banques commerciales qui en recherchent, ou à les utiliser pour financer les projets de leurs propres clients.
Le taux de refinancement et le taux de la facilité de prêt marginal permettent de donner une vue  sur les besoins de refinancement des banques commerciales (quel prix sont-elles prêtes à mettre pour obtenir de la liquidité ?). Ils ne sont pas forcément égaux car ils n’ont pas le même objectif (refinancement principal ou besoin urgent de liquidité), bien que depuis quelques années, ces taux soient fortement proches dans le but d’assurer la liquidité du système bancaire.
La politique des taux directeur va avoir une influence directe sur l’ensemble de l’économie.  En effet, un taux élevé va décourager les banques commerciales d’emprunter auprès de leur banque centrale, car leur refinancement sera trop coûteux. Dès lors, elles feront moins de crédits à leur clientèle ce qui sera de nature à réduire l'inflation. A l’inverse, un taux bas incitera les banques commerciales à emprunter et leur permettra, en principe, de répondre aux demandes de crédits de leur clientèle en soutenant ainsi l’économie.
Cet outil a cependant trouvé ses limites durant ces dernières années, car il apparaît difficile de réduire les taux, dès lors qu’ils atteignent un niveau déjà très bas.
Il faut admettre que les évènements des années 2008-2012 ont quelque peu nuancé ces techniques. En effet, durant cette période, la BCE a mis d'énormes sommes à la disposition des banques, avec des taux d'intérêt très bas. Mais tout cela n'a été fait que dans un seul but : remédier à l’inertie du marché interbancaire où les banques commerciales ne se prêtaient qu’à très court terme, et éviter à tout prix une crise d'illiquidité, pouvant emporter le système dans son entier. C'est donc pour assurer la liquidité du marché interbancaire et la possibilité pour chaque banque commerciale de se refinancer que la BCE a accepté de prêter pour des quantités illimitées et à des conditions très avantageuses : par exemple elle a accepté des garanties qu’elle n’aurait pas acceptées en période normale. On a parlé de « politique monétaire non-conventionnelle » par opposition à sa politique classique dite « conventionnelle ».
Comme nous le voyons, conjuguer la surveillance de la liquidité avec le contrôle de masse monétaire et de l'inflation, forme parfois un jeu assez complexe pour la BCE. Mais maintenir la cohérence et la viabilité du système par le seul maintien de la liquidité ne suffit plus à l'heure actuelle. C'est pourquoi nous devons porter notre regard sur une nouvelle mission qui est confiée à la BCE  : celle de surveiller la solvabilité et la viabilité des banques.

II – Une nouvelle mission pour la BCE : surveiller la solvabilité des banques 
Nous avons vu que la liquidité des banques commerciales était le principal sujet de préoccupation des banques centrales délaissant les questions de leur viabilité et donc de leur solvabilité. Cette conception nous paraît aujourd'hui en cours d'évolution. La crise des années 2008-2012 a bouleversé les méthodes utilisées auparavant surtout dans la zone euro. En fait, tout le système a changé. La taille des banques et leur interdépendance font que la question de la solvabilité des banques ne doit plus être traitée à part. Le cas de la Northern Rock, évoqué plus haut, a montré qu'une faillite bancaire peut avoir des conséquences désastreuses pour l'économie (reprenant la célèbre théorie des dominos, si ce n'est pire puisque la crise peut se nourrir de chaque défaillance), avec en premier lieu la perte de confiance des entreprises, des investisseurs et des ménages envers le système bancaire.
Les responsables de l’Union européenne et, surtout de la zone euro, ont pris conscience de ce danger potentiel. Il faut désormais prendre en compte la situation des banques commerciales au regard de leur solvabilité. Attention, l'objectif n'est pas de venir en aide à une banque, à coup de plusieurs milliards, pour remonter la pente. Il s'agit au contraire d'assurer une surveillance préventive du système dans son intégralité (c’est ce qu’on appelle le contrôle prudentiel, ou contrôle bancaire ou encore la supervision bancaire), et permettre à une banque en difficulté de résoudre ses problèmes de manière ordonnée ; il faut éviter des perturbations pour le reste des banques, voire une contagion à d’autres établissements de crédit, tout en essayant de ne pas faire appel au contribuable.
C’est ainsi que dans le cadre du projet d’Union bancaire en cours de réalisation, le législateur européen a décidé de confier en partie à la BCE le contrôle prudentiel des banques de la zone euro, contrôle qui relevait jusqu’à maintenant de la compétence des autorités nationales de contrôle, comme par exemple l’Autorité de contrôle prudentielle (ACP) en France. Il va y avoir un partage selon la taille des banques : la BCE exercera le contrôle prudentiel sur les plus importantes, tandis que les autorités nationales conserveront leur compétence pour les plus petites. L’objectif est de remédier aux disparités des contrôles nationaux et donc à certaines imperfections dans les pratiques de contrôle qui se sont révélées avec la crise. Désormais une partie du contrôle sera centralisée au niveau de la BCE : c’est le mécanisme de supervision unique (MSU). Les Etats qui ne sont pas dans la zone euro pourront, s’ils le souhaitent, adhérer à ce mécanisme ce qui donnera une certaine cohérence au contrôle bancaire dans l’Union européenne.
La BCE sera notamment chargée d'agréer les établissements de crédit, de faire respecter les exigences en matière de fonds propres, d'endettement et de liquidités, et d’une façon générale de veiller au respect de toute la règlementation relative au bon fonctionnement du système. Par exemple, dans le cas où une banque ne respecterait plus, ou risquerait de ne plus respecter, les exigences de fonds propres réglementaires, la BCE pourra recourir à des mesures d'intervention précoce, en l'obligeant à prendre des mesures correctives.
Bien entendu, le mécanisme de supervision unique ne peut pas être opérationnel du jour au lendemain. Une période de transition est prévue afin de faire face aux difficultés qu’engendre la mise en place d’une telle réforme. Ainsi, dans un premier temps, la BCE pourra décider d'assurer la responsabilité de la surveillance de tout établissement de crédit, notamment ceux qui ont reçu ou demandé à recevoir des fonds publics. De plus, les autorités nationales concernées seront amenées à jouer un rôle important du fait de leur expérience. Cette phase de mise en œuvre progressive devrait s'achever le 1er janvier 2014. Nous devons reconnaître que la crise financière et économique a eu un effet bénéfique : celui de nous faire prendre conscience de la nature de notre système bancaire et surtout, de mettre au grand jour ses faiblesses. L'Union européenne essaie de trouver des solutions pour créer un système solide et sain. Certes, la mise en place de tout cela ne va pas aussi vite qu’on pourrait le souhaiter, mais il ne faut pas oublier l'important chemin parcouru et les nombreuses décisions qui ont été prises depuis 2008. Le rôle de la BCE n'est pas à prendre à la légère. Elle soutient la monnaie unique, continue à assurer la liquidité du marché interbancaire, au moyen de diverses politiques monétaires conventionnelles ou non, et enfin, elle se voit confier la surveillance de la solvabilité des grandes banques de la zone euro. L'intégration monétaire et économique vient de franchir une nouvelle étape.