Banque-Notes Express du 3 juillet 2023
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Règlement MiCA en vigueur, crypto-actifs bientôt sous contrôle
Blanche Sousi
Professeur émérite de l’Université Lyon 3
Chaire Jean Monnet ad personam de droit bancaire et monétaire européen
Dans un précédent numéro de Banque-Notes Express, nous évoquions quatre règlements européens qui étaient alors en cours d’adoption : DMA (Digital Markets Act), DSA (Digital Services Act), DORA (Digital Operational Resilience Act) et MiCAR (Markets in Crypto-Assets Regulation). Et au vu de ces textes, nous affirmions que l’Union européenne était pionnière à l’heure du numérique Voir Banque-Notes Express du 30 avril 2022.
Où en est-on aujourd’hui ?
Les trois premiers règlements ont été adoptés et, en octobre 2022, ils ont été publiés au Journal officiel de l’Union européenne (JOUE). Ils sont bien sûr en vigueur. Quant au Règlement sur les marchés de crypto-actifs (ci-après « Le Règlement » ou « MiCAR » dans l’acronyme anglais ou plus simplement MiCA), sa publication était attendue avec une certaine impatience : il semble que le travail des juristes-linguistes n’ait pas été très facile.
C’est maintenant chose faite. Le Règlement a été publié au JOUE du 9 juin 2023 avec une entrée en vigueur fixée au « 20ème jour suivant le jour de la publication ». Il est donc en vigueur depuis le 29 juin. Il est applicable à partir du 30 décembre 2024, mais certaines de ses dispositions le sont à partir du 30 juin 2024 : ces délais sont nécessaires pour la préparation des nombreux textes d’application (prévus par MiCA) dont l’Autorité européenne des marchés financiers et à l’Autorité bancaire européenne ont la charge. Elles sont déjà au travail ! (Pour les détails, voir l’article 149 du Règlement).
Alors que les Etats-Unis et le Royaume-Uni tardent à réglementer les crypto-actifs (sur leurs différentes approches Voir), l’Union européenne confirme, avec MiCA, son avance mondiale en ce domaine.
Il n’est pas possible dans le cadre de Banque-Notes Express de faire une présentation exhaustive de ce texte : en revanche, pour planter le décor, voici des réponses à quelques questions simples que les lecteurs non encore familiers de ce texte, se posent peut-être.
Et d’abord, pourquoi le législateur européen a-t-il voulu réglementer les crypto-actifs ?
Certains commentateurs pourraient voir dans MiCA la volonté du législateur européen d’encourager les marchés de crypto-actifs. Ce n’est pas exactement cela, comme l’explique l’un des pères de ce Règlement :
« MiCA a été soutenu par une très large majorité au Parlement européen et parmi les ministres ayant des points de vue très différents sur la crypto – mais ils conviennent tous que les actifs cryptographiques doivent être soumis à des contrôles empêchant la fraude, les abus et le blanchiment d’argent et assurant une transparence totale sur ses risques – c’est ce qu’est MiCA, rien de moins rien de plus ! ».
L’objectif est donc clair : soumettre à un contrôle les produits et les acteurs de ces marchés pour éviter les dérives, les abus, les fraudes dont seraient victimes les utilisateurs. L’ensemble de MiCA répond à cette préoccupation. On note au passage qu’à propos d’abus, des dispositions spécifiques pour prévenir et interdire les abus de marché concernant les crypto-actifs sont prévues dans le Règlement (considérant 95 et suiv. et articles 86 et suiv.).
De plus, s’agissant de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB/FT), parallèlement à MiCA, le législateur européen a adopté le Règlement sur les informations accompagnant les transferts de fonds et de certains crypto-actifs Voir.
Les deux règlements sont datés du même jour (le 31 mai 2023), publiés dans le même JOUE du 9 juin 2023, et tous les deux sont en vigueur depuis le 29 juin 2023. Tout cela a été voulu par le législateur européen, car les deux textes se complètent.
Compte tenu de l’ensemble des dispositions conjuguées de ces Règlements « jumeaux », il est possible que les marchés de crypto-actifs se développent puisqu’étant désormais plus sûrs pour les utilisateurs, ils inspireront la confiance. Mais cet éventuel développement n’était pas l’objectif du législateur européen qui était animé par le souci d’assurer l’intégrité et donc le bon fonctionnement du marché intérieur. On l’expliquera un peu plus loin ; auparavant, une deuxième question s’impose.
Qu’est-ce qu’un crypto-actif au sens du Règlement ? Réponse en son article 3 (avec toutes les autres définitions) : c’est « une représentation numérique d’une valeur ou d’un droit pouvant être transférée et stockée de manière électronique, au moyen de la technologie des registres distribués ou d’une technologie similaire » (par exemple une blockchain).
Cette définition a expressément été voulue « aussi large que possible pour résister à l’épreuve du temps, être capable de suivre le rythme de l’innovation et des évolutions technologiques » (considérant 16 du Règlement).
MiCA s’applique-t-il à tous les crypto-actifs répondant à cette définition ? La réponse est non ; certains en sont exclus. Pourquoi ?
– Parce qu’ils sont déjà réglementés par d’autres textes européens. Le législateur a estimé qu’ils devaient rester régis par ces textes plutôt que par MiCA, quelle que soit la technologie utilisée pour leur émission ou leur transfert. Il s’agit donc d’éviter un cumul inutile de réglementations (intention louable !). Cela concerne, par exemple, des crypto-actifs qui répondent à la qualification d’instruments financiers, ou à la qualification de contrats d’assurance non-vie ou vie, à celle de produits ou régimes de retraites, etc. (considérant 9 et article 2 §3). Ce sont donc des crypto-actifs au sens de MiCA mais qui ne sont pas soumis à sa réglementation : ils sont déjà réglementés par d’autres textes européens.
– Parce qu’ils sont uniques et non fongibles (NFTs)… à condition qu’ils soient effectivement non fongibles (considérants 10 et 11, et article 2, §3). On rappelle, brièvement, que la fongibilité est la qualité des biens qui sont interchangeables : exemple, les bitcoins sont des biens fongibles.
Nous avions suivi le sort des NFTs lors de la procédure d’adoption de MiCA. Initialement, la Commission européenne les avait inclus dans le champ d’application du texte : ils en ont été exclus au cours de la procédure. Pour plus de détails sur ce retournement, voir Banque-Notes Express du 30 octobre 2022.
Aujourd’hui donc, bien qu’étant des crypto-actifs au sens de MiCA, ils ne sont pas soumis à sa réglementation : il convient de souligner ici qu’ils ne sont soumis à aucune réglementation européenne. Leur marché, leurs vendeurs, leurs acheteurs, tout est donc hors contrôle … mais cela pourrait changer un jour. En effet, il est écrit dans MiCA que la Commission devra faire, avant le 30 décembre 2024, un rapport dans lequel elle pourrait proposer un texte législatif les concernant (article 142, §2, d). Une affaire à suivre, assurément !
Il est temps d’évoquer les crypto-actifs qui eux sont soumis à la réglementation de MiCA. Le législateur européen les a classés en trois types. Lesquels ?
Les trois types de crypto-actifs réglementés par MiCA
Ce sont d’abord les crypto-actifs « qui se réfèrent à d’autres actifs » en vue de stabiliser leur valeur. C’est pourquoi on les appelle des stablecoins. Le Règlement en distingue deux types :
– les stablecoins qui se réfèrent à la valeur d’une seule monnaie officielle (euro, dollar, etc.) (article 3, §1, 7) du Règlement) : ce sont les « jetons de monnaie électronique » (parfois désignés sous l’acronyme anglais EMT, pour Electronic Money Tokens) ; les dispositions les concernant sont prévues au Titre IV du Règlement.
– les stablecoins qui se réfèrent à une autre valeur ou un autre droit ou à une combinaison de ceux-ci, y compris une ou plusieurs monnaies officielles (article 3, §1, 6) du Règlement) : ce sont « les jetons se référant à un ou des actifs » (parfois désignés sous l’acronyme anglais ART pour Asset Referenced Tokens). Les dispositions les concernant sont prévues au Titre III du Règlement.
Restent tous les autres crypto-actifs régis par MiCA mais qui ne sont ni des EMT, ni des ART : ils constituent un troisième type « qui englobe un large éventail de crypto-actifs » (considérant 18). Ce sont, selon les termes du Règlement, « les crypto-actifs autres que les jetons se référant à un ou des actifs et les jetons de monnaie électronique ». Une désignation qu’on aimerait plus courte, mais qui a le mérite d’être claire ; à titre d’exemple, les bitcoins entrent dans cette catégorie. Les dispositions concernant ces crypto-actifs figurent dans le Titre II du Règlement.
Des dispositions spécifiques sont donc prévues pour chacun de ces trois types de crypto-actifs, mais également pour leurs émetteurs et leurs détenteurs.
Ce n’est pas tout : MiCA règlemente aussi (et surtout) tous les prestataires de services sur ces crypto-actifs : ce sont les PSCA (dans l’acronyme qui remplacera la terminologie française de PSAN pour prestataires de services sur actifs numériques).
Ces services sont énumérés et définis à l’article 3, §1, points 16 à 26 du Règlement : conservation et administration pour le compte de clients, exploitation d’une plate-forme de négociation, échange, exécution d’ordres, placement, conseils, gestion de portefeuille…
Avec la réglementation des PSCA (prévue au Titre V du Règlement), c’est une véritable révolution de leur activité qui est annoncée . Explication.
Aujourd’hui hors contrôle (sauf s’agissant des règles anti-blanchiment), leur activité va passer sous le contrôle des autorités compétentes des Etats membres de l’Union européenne.
En effet, à compter du 30 décembre 2024, tout PSCA voulant exercer son activité dans l’Union européenne devra obligatoirement avoir obtenu un agrément délivré par l’autorité compétente de son Etat d’origine (articles 59 et suiv. du Règlement). Le législateur européen calque donc ici le principe de l’agrément obligatoire qu’il avait mis en place à partir de 1993 pour les établissements bancaires et financiers du monde réel.
D’ailleurs, pour ces établissements du monde réel, par hypothèse déjà agréés (banques, entreprises d’investissement, etc.), une procédure très allégée est prévue : ils n’auront pas à demander un nouvel agrément s’ils veulent ajouter à leur activité actuelle, la fourniture de services sur crypto-actifs. Ils n’auront qu’à notifier leur intention à l’autorité compétente dont ils dépendent (article 60 du Règlement). On retrouve ici le souci du législateur de ne pas imposer des exigences faisant inutilement double emploi.
En revanche, les PSCA devront respecter les conditions très nombreuses et contraignantes (procédure, exigences fonctionnelles, organisationnelles, prudentielles etc.) pour obtenir leur agrément et le conserver tout au long de leur activité (articles 62 et suiv.), sous peine de sanctions (articles 111 et suiv. du Règlement).
Et s’il s’agit d’une entreprise d’un pays tiers ? Les exigences sont les mêmes si elle fournit des services sur crypto-actifs à des clients établis sur le territoire de l’Union européenne. Pour elle aussi, l’agrément sera obligatoire sauf si le service a été fourni sur l’initiative exclusive de ce client (reverse solicitation) (considérant 75 et article 61 du Règlement). Principe, là encore, bien connu dans le monde réel des activités bancaires et financières, mais qui sera certainement un grand changement pour les entreprises qui opèrent dans le monde virtuel.
Enfin, comme dans le monde réel, l’agrément constitue pour le PSCA un passeport européen lui permettant de fournir dans toute l’Union européenne les services pour lesquels il aura été agréé (article 59, §7 du Règlement).
Comme on le voit, le système mis en place par MiCA pour les services sur crypto-actifs repose sur la même logique que le système mis en place, depuis 30 ans, pour les services financiers. Cohérence.
En fait, MiCA est une nouvelle pièce ajoutée au puzzle législatif tendant à assurer l’intégrité et donc le bon fonctionnement du marché intérieur, comme le prévoit l’article 114 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Pour preuve ? MiCA et adopté au seul visa de cet article 114. On ne peut plus probant.
Et maintenant, quel sera l’impact de MiCA ? Les législateurs des pays tiers vont-ils s’en inspirer comme cela semble déjà envisagé au Royaume-Uni ? Tous les prestataires pourront-ils répondre aux exigences nécessaires à l’obtention d’un agrément ? Les établissements déjà agréés dans le monde réel voudront-ils entrer en partie dans le monde virtuel des crypto-actifs ? Et tant d’autres incertitudes…
Mais, surtout, quel sera l’effet de ce paradoxe que constitue MiCA qui met sous contrôle externe des marchés créés précisément pour être hors d’un tel contrôle ?