Le Règlement européen MiCAR vient d’être adopté : les NFTs sont-ils réglementés ? Non, mais…

Banque-Notes Express du 30 octobre 2022
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Le Règlement européen MiCAR vient d’être adopté :
les NFTs sont-ils réglementés ? Non, mais…

Blanche Sousi
Professeur émérite de l’Université Lyon 3
Chaire Jean Monnet ad personam de droit bancaire et monétaire européen

Il y a peu, je répondais sans hésitation par l’affirmative à cette question : voir Banque-Notes Express du 14 juin 2021. Il suffisait de lire la Proposition de Règlement sur les marchés de crypto-actifs  (ci-après le Règlement ou MiCAR dans l’acronyme anglais) présentée le 24 septembre 2020 par la Commission européenne et transmise, pour adoption, au Parlement européen et au Conseil de l’Union européenne (UE). Oui, les NFTs (non fungible tokens ou jetons numériques non fongibles-JNF) feraient bientôt l’objet de la réglementation proposée par la Commission européenne dans MiCAR.
Voici pourquoi :
– D’abord, le Règlement serait juridiquement fondé sur l’article 114 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) relatif au marché intérieur, avec pour objectifs, expressément affirmés : l’intégrité des marchés de crypto-actifs, une même réglementation et un même contrôle pour les prestataires européens fournissant dans l’UE des services sur crypto-actifs (autrement dénommés les prestataires de services sur actifs numériques, ou par leur acronyme “PSAN”), la sécurité juridique des consommateurs et la stabilité du système financier ; tout cela sans freiner l’innovation financière (voir « L’Union européenne, pionnière à l’ère du numérique : DSA, DMA, MiCA, DORA », Banque-Notes Express du 30 avril 2022.

– De plus en proposant ce texte, la Commission européenne affirmait sa volonté d’harmoniser le cadre juridique de tous les crypto-actifs (fongibles ou non fongibles) ne faisant pas encore l’objet d’une réglementation européenne existante, mis à part les textes relatifs à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LBC-FT). Tous ces crypto-actifs, et eux seuls, relèveraient de ce futur Règlement.
Il s’agissait donc de « combler les trous de la raquette » :  il était grand temps de le faire avant que les Etats membres adoptent leur propre législation nationale sur telle ou telle question concernant les crypto-actifs, comme l’avaient déjà fait certains (dont la France en particulier), entrainant ainsi une fragmentation du marché contraire au concept même de marché intérieur.
Les NFTs ne faisant pas encore l’objet d’une réglementation européenne, la logique et la nécessité imposaient de les inclure dans le champ d’application de MiCAR.

– En revanche, pour ne pas imposer de trop lourdes contraintes aux émetteurs de NFTs (telles celles imposées aux émetteurs d’autres crypto-actifs comme le Bitcoin, l’Ether, etc.), un régime allégé leur serait réservé lors d’une offre au public ou d’une admission à la négociation sur une plate-forme.

Bref, un texte équilibré pour les NFTs dont la destinée semblait assurée : une régulation européenne (condition d’une confiance des émetteurs et des acquéreurs) allait accompagner leur développement économique exponentiel constaté chaque jour notamment dans le domaine de l’art.

Qu’allaient faire de cette perspective, les colégislateurs (le Parlement européen et le Conseil de l’UE) appelés à examiner le texte, voire l’amender, avant de l’adopter ? Allaient-ils suivre la Commission européenne et donc inclure les NFTs dans le champ d’application du Règlement ?

Au cours de la procédure législative, des rebondissements ont pu faire douter de la réponse à cette question ou faire naître quelques espoirs. Explication.

Lors des toutes premières discussions au Parlement européen (précisément à l’ECON, la commission économique et monétaire), le texte inspira aux députés certains amendements, mais sans conséquence sur les NFTs. Voir le projet du rapport S. Berger, 25 févr. 2021.

En revanche, le Conseil de l’UE, réuni le 24 novembre 2021 sous présidence slovène, adopta sa position sur le Règlement, dans laquelle, parmi d’autres amendements, il excluait purement et simplement les NFTs du champ d’application du texte. Cette exclusion était justifiée ainsi :
« Bien que ces crypto-actifs puissent être échangés sur des places de marché, être acquis à des fins spéculatives et, dans des cas limités, être utilisés comme moyen d’échange, ils ne sont pas facilement interchangeables. De plus, la valeur relative de ce type de crypto-actif par rapport à un autre, chacun étant unique, ne peut être déterminée par une comparaison avec un marché existant ou sur la base d’un actif équivalent ».
Et de conclure : « De telles caractéristiques limitent la mesure dans laquelle ces crypto-actifs peuvent avoir un usage financier, limitant ainsi les risques pour les utilisateurs et le système » (considérant 8b de la position du Conseil).

Cet argument a pu surprendre alors que la presse du monde entier rappelait régulièrement l’engouement pour les NFTs, notamment dans le domaine de l’art, et signalait déjà les déboires de certains investisseurs peu avisés qui avaient cru à des promesses de gains mirifiques. Oui, les NFTs peuvent être des produits très risqués et à ce titre, ils doivent être réglementés.

Cependant, tout en revendiquant, dans l’intérêt même du marché, une réglementation européenne des NFTs, d’importantes organisations professionnelles du marché de l’art français ont fait remarquer au cours de travaux de l’Institut Art & Droit, que la proposition de Règlement comportait des dispositions inadaptées au domaine de l’art, et ont donc exprimé le souhait de dispositions spécifiques. Voir le Communiqué de presse Art & Droit, mars 2022.

Cette spécificité des NFTs, notamment d’œuvres d’art, a été comprise par la commission économique et monétaire du Parlement européen : parmi d’autres amendements à la proposition de Règlement, elle a en effet estimé « nécessaire d’examiner si un régime sur mesure à l’échelle de l’Union devrait être proposé par la Commission »  Rapport Stefan Berger du 17 mars 2022, considérant 8b.  De quoi faire naître un espoir …

Les colégislateurs ayant chacun exprimé leur position sur la proposition de Règlement, le temps était venu d’ouvrir des négociations en trilogue (c’est-à-dire entre le Conseil de l’UE, le Parlement européen et la Commission européenne) afin de trouver un accord sur le texte qui serait finalement adopté. L’accord est trouvé le 30 juin 2022 dans les dernières heures de la présidence française du Conseil de l’UE : le communiqué de presse est publié à 22h30 voir.

Résultat : les NFTs seront certes exclus du Règlement MiCA, mais il est expressément prévu qu’au « plus tard 18 mois après la date d’entrée en vigueur du règlement, après consultation de l’Autorité bancaire européenne et l’Autorité européenne des marchés financiers, la Commission présente un rapport au Parlement européen et au Conseil, accompagné le cas échéant d’une proposition législative, et contenant au moins (…) une évaluation du développement des crypto-actifs uniques et non fongibles et de l’adéquation de leur traitement règlementaire, y compris de la nécessité et de la faisabilité de réglementer leurs émetteurs et les prestataires de services liés à ces crypto-actifs » (article 122b du texte issu du trilogue dont la numérotation est provisoire, en attendant l’adoption en session plénière du Parlement européen et la publication du Règlement MiCA au Journal officiel de l’UE).

Ainsi, comme le souhaitait le Conseil de l’UE, le Règlement ne s’appliquera pas aux NFTs, sans doute pour assurer la cohérence de ce texte largement inspiré d’une logique financière ; mais l’idée initiale de la Commission européenne selon laquelle tous les crypto-actifs, y compris les NFTs, doivent faire l’objet d’une réglementation européenne, n’est pas pour autant abandonnée, au contraire : mandat lui est donné de faire un rapport d’évaluation sur le sujet, et de proposer, le cas échéant, un texte législatif. Ce qui rejoint le point de vue du Parlement européen favorable à une réflexion sur un régime spécifique à ces crypto-actifs.

Une réflexion à mener par tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, sont parties prenantes de ce nouveau marché  : celui des NFTs qui, selon Thierry Ehrmann, « ont révolutionné le marché de l’art » voir Artprice, Rapport annuel sur le Marché de l’Art Ultra Contemporain en 2022.

Et si l’UE tardait à instaurer cette réglementation spécifique, la France pourrait le faire : le champ non investi par le droit européen, peut l’être par les droits nationaux.

Peut-on, en effet, laisser les NFTs plus longtemps hors contrôle ?