Banque-Notes Express du 22 septembre 2020
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Le plan de relance pour l’Europe :
une traduction législative sous pression
Blanche Sousi
Professeur émérite de l’Université Lyon 3
Chaire Jean Monnet (ad personam) de droit bancaire et monétaire européen
et son équipe
Le 21 juillet dernier, nous avions laissé nos lecteurs (voir) prendre connaissance des Conclusions adoptées, au petit matin, par le Conseil européen (les 27 chefs d’Etat ou de gouvernement) après 4 jours et 4 nuits d’âpres négociations pour parvenir à un accord unanime. Selon les termes de ce document, il s’agit d’un « effort de relance extraordinaire destiné à faire face aux effets d'une crise sans précédent dans le meilleur intérêt de l'UE ».
« Historique » estiment de nombreux responsables politiques, « révolution copernicienne » déclare même Charles Michel, le président du Conseil européen : en effet, ce plan de relance pour l’Europe prévoit d’abord, et pour la première fois, que la Commission européenne empruntera 750 milliards € sur les marchés financiers, au nom de l’Union européenne (UE). Ces fonds seront versés aux Etats membres sous forme de prêts ou de subventions (sous certaines conditions) afin de favoriser la reprise de leur économie très gravement atteinte par la crise sanitaire. Ce volet du plan de relance (emprunt et affectation des fonds) est dénommé «instrument de l’UE pour la relance » ou « instrument de relance (IR) » que la Commission européenne a également baptisé « Next Generation EU ».
L’autre volet du plan de relance européen concerne le remboursement de l’emprunt : toujours selon les conclusions du Conseil européen, l’UE procédera à ce remboursement de manière progressive et au plus tard le 31 décembre 2058, cela sur ses ressources propres et conformément à son budget à long terme (appelé Cadre financier pluriannuel-CFP) pour 2021-2027, dont le montant total sera de 1 100 milliards €.
L’instrument de relance (emprunt/affectation des fonds) et le budget de l’UE sont donc fortement corrélés et, pour reprendre les termes des conclusions, « Next Generation UE et le CFP vont de pair ».
Reste à traduire tout cela dans des textes législatifs contraignants, car ce plan de relance n’est qu’un accord politique, le Conseil européen n’ayant pas de fonction législative (article 15, § 1 du traité sur l’Union européenne-TFUE) : il donne l’impulsion, ce qui est déjà beaucoup, mais son rôle s’arrête là.
Voilà pourquoi, au point A32 de ses conclusions, il passe le relais au Conseil (c'est-à-dire au Conseil de l’UE composé des représentants des Etats membres au niveau ministériel) et au Parlement européen : « Le Conseil est invité à entamer des négociations avec le Parlement européen en vue de mener à bonne fin les travaux sur l’ensemble des actes juridiques, conformément à la base juridique pertinente (…) ».
Ces mots « conformément à la base juridique pertinente » rappellent que la procédure législative applicable ne sera pas la même pour tous les textes à adopter et donc que, juridiquement, le Conseil et le Parlement n’auront pas, dans tous les cas, les mêmes pouvoirs.
Or, les textes à adopter sont enchevêtrés et interdépendants ; même s’ils doivent être adoptés séparément et selon la procédure législative applicable à chacun, ils forment un ensemble assez complexe (même pour les observateurs un peu initiés), considéré comme un « paquet financier », qui peut se prêter à une forme de négociation globale entre les trois institutions, le Conseil, le Parlement européen (PE) et la Commission européenne.
Explication (le plus simplement possible).
La procédure législative applicable
Elle résulte de la base juridique du texte concerné, c’est-à-dire de l’article du traité sur lequel ledit texte est fondé et qui précise selon quelle procédure législative ce texte devra être adopté, et donc qui, du Conseil ou du PE, est juridiquement maître du jeu ou s’ils le sont à égalité.
– S’il s’agit de la procédure législative ordinaire (jadis appelée procédure de codécision), le Conseil et le PE jouent à égalité car ils sont colégislateurs. Ils peuvent proposer des modifications au projet de texte et l’adoption ne sera possible que s’ils parviennent à se mettre d’accord sur une rédaction définitive. Le texte adopté sera alors un texte du Parlement européen et du Conseil.
Il en est ainsi des règlements établissant le financement de différents programmes de l'UE, en particulier celui établissant la facilité pour la reprise et la résilience (principal instrument pour la relance doté de 675,5 milliards € au titre de Next Generation EU).
Voir la proposition règlement (base juridique : article 175, §3 TFUE).
De même du règlement à adopter sur l’état de droit. Voir la proposition de règlement (base juridique : article 322, §1, a.TFUE).
– S’il s’agit d’une procédure spéciale, le Conseil et le PE ne sont pas juridiquement à égalité. Le texte adopté sera un texte du Conseil, mais le rôle et le pouvoir du PE varient selon le type de procédure spéciale :
1- procédure d’information : le Conseil doit informer le PE de la décision qu’il a prise.
Il en est ainsi du règlement du Conseil établissant un instrument de l’Union européenne pour la relance en vue de soutenir la reprise à l’issue de la pandémie de COVID-19.
Il s’agit de l’instrument de relance ou Next Generation EU pour lequel donc, le PE n’a juridiquement aucun pouvoir, voir ce texte (base juridique : article 122 TFUE).
2 – procédure de consultation : le Conseil doit consulter le PE avant d’adopter le texte.
Il en est ainsi de la décision du Conseil sur les ressources propres de l’UE
voir ce texte (base juridique : article 311, alinéa 3 TFUE).
On note que le Conseil doit statuer à l’unanimité (donc des 27 ministres des finances) et que le texte doit être ratifié par les 27 Etats selon leurs règles constitutionnelles (pour la plupart ratification par leur Parlement national).
3 – procédure d’approbation : le texte ne peut être adopté qu’avec l’approbation du PE qui, sans pouvoir proposer des modifications au texte en cause, peut refuser de l’approuver en l’état et donc le rejeter. Ce qui lui donne, en fait, un droit de véto.
Il en est ainsi du règlement du Conseil fixant le cadre financier pluriannuel (CFP) pour la période 2021-2027 (en préparation depuis plusieurs mois). Voir la proposition modifiée de ce texte (base juridique : article 312, §2, alinéa 1 TFUE).
Ainsi doit être traduit de manière législative le plan de relance pour l’Europe. Cette traduction ne sera pas un long fleuve tranquille…car elle est sous la pression des trois institutions : pression du PE qui conteste le contenu du plan et veut, notamment, y faire intégrer des modifications alors qu’il n’en a pas juridiquement le pouvoir ; pression du Conseil et de la Commission européenne qui veulent parvenir à la mise en œuvre du plan dans les meilleures conditions et rapidement ( «de manière exceptionnellement urgente ») pour soutenir les Etats membres «qui subissent une crise sans précédent».
Les négociations sont en cours. Voici comment.
Les trois institutions à la manœuvre
1 – Le Parlement européen a, très promptement et fermement, réagi à l’accord politique du Conseil européen du 21 juillet. En effet, le 23 juillet dans une Résolution (courte et dont on recommande la lecture), tout en reconnaissant que « la création de l’instrument de relance représente une avancée historique pour l’Union », le PE ne manque pas d’en déplorer plusieurs éléments (coupes budgétaires dans des programmes préexistants, rabais consentis à certains Etats, imprécision sur l’état de droit, etc..). Il en conteste aussi la base juridique choisie qui le met hors-jeu pour son adoption. Il « considère qu’il doit participer pleinement à la mise en œuvre de l’instrument de relance, tant pour les opérations d’emprunt que pour les opérations de prêt ».
Et d’une façon générale, il fait bien comprendre qu’il défendra son point de vue sur tous les textes lors des négociations avec le Conseil et rappelle que le CFP ne peut pas être adopté sans son approbation (menace à peine déguisée). Le ton est donné.
Il est en effet tentant pour le PE de négocier avec le Conseil des modifications dans un texte sur lequel il n’a, juridiquement, aucun pouvoir en suggérant qu’il pourrait exercer son véto sur les autres textes pour lesquels son accord est nécessaire (procédure législative ordinaire ou procédure spéciale avec approbation) : une menace qui peut être efficace… si les autres parties en présence y sont prêtes.
2 – Le Conseil est actuellement, par un heureux hasard du calendrier, présidé par l’Allemagne depuis le 1er juillet et jusqu’au 31 décembre 2020. Pendant cette période de 6 mois, Olaf Scholz, le ministre des finances allemand préside, de manière très active et efficace, les réunions de l’ECOFIN, la formation du Conseil compétente pour les affaires économiques et financières, et donc pour le plan de relance (voir BNE du 23 juin 2020). Or la présidence allemande a fait savoir (cela n’étonnera personne) que la reprise économique et sociale dans tous les Etats de l’UE était au cœur de son programme. Voir son site dédié. Nul doute qu’Olaf Scholz veillera avec le plus grand soin à ce que le plan de relance, fortement inspiré et soutenu par le couple franco-allemand, soit mis en œuvre dans les meilleures conditions et avant la fin de la présidence allemande le 31 décembre 2020.
Les négociations avec le PE ont d’ailleurs commencé durant l’été et dans un climat « positif et constructif » de l’avis même des négociateurs pour le PE ; voir le communiqué de presse du 27 août.
3 – La Commission européenne : même si juridiquement les textes qui seront adoptés le seront soit par le seul Conseil, soit par le PE et le Conseil, la Commission européenne est omniprésente et omnipotente à tous les stades de la procédure. Qu’on en juge.
– D’abord au stade de l’élaboration du projet de plan de relance européen : c’est le texte préparé et rédigé par la Commission qui a été soumis au Conseil européen en vue de sa réunion de juillet (comme c’est toujours le cas pour tous les textes conformément aux traités).
– Puis, lors du Conseil européen du 17 au 21 juillet 2020 : la présidente de la Commission européenne (Ursula von der Leyen) a participé aux réunions de ce Conseil. En effet, en vertu des traités, elle en est membre aux côtés des 27 chefs d’Etat ou de gouvernement, et du président du Conseil européen. Elle a donc pris part aux négociations sur « son » projet et sur les modifications de certaines de ses dispositions.
– Ensuite, à l’étape du trilogue : il s’agit des réunions informelles interinstitutionnelles entre les représentants du PE, du Conseil et de la Commission européenne. L’objectif est de trouver un accord provisoire sur tel ou tel texte lorsque, dans la procédure législative ordinaire, le Conseil et le PE sont en désaccord. La Commission assure la médiation en vue de faciliter la conclusion d'un accord, qui sera soumis formellement au Conseil et au Parlement pour adoption.
– Enfin, lorsque seront adoptés les textes nécessaires à la mise en œuvre effective du plan de relance (en principe d’ici la fin de l’année), la Commission aura la très lourde tâche de gérer, et pour plusieurs années, une bonne part de son exécution : lancer l’emprunt, traiter les demandes de prêts et de subventions des Etats membres, apprécier si elles répondent aux conditions prévues par les textes etc… Un véritable défi (voir notamment Sébastien Maillard, « Un accord historique à améliorer et à réaliser », Notre Europe, 27 juillet 2020, et Sébastien Adalid, « Plan de relance : le vice caché », The conversation, 30 juillet 2020).
Là encore ce ne sera pas un long fleuve tranquille…
Fort heureusement, ses services ont déjà très soigneusement commencé à préparer cette tâche : dans un Communiqué de presse du 17 septembre 2020, la Commission a publié ses recommandations à l’attention des Etats membres demandeurs de subventions ou de prêts, afin de « les aider » à lui présenter leurs demandes. Un modèle standard est même joint.
Au passage, elle « invite le PE et le Conseil à se mettre d’accord le plus rapidement possible » sur la proposition de règlement (citée plus haut) afin que la facilité pour la reprise et la résilience soit opérationnelle dès le 1er janvier 2021. Le temps presse.
La balle (et la pression) sont maintenant dans le camp des Etats membres pour établir leur plan national de relance et le soumettre au verdict de la Commission européenne omniprésente et omnipotente, encore et encore !
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