La création du Parquet européen – bel exemple d’une Europe à plusieurs vitesses.
Vous entendez souvent dire que l’Europe est trop lente, qu’il est insupportable que certains Etats membres freinent ceux qui voudraient avancer, et qu’il est loin le temps où nous étions 6 autour de la table ! A l’heure où la relance de l’intégration européenne est devenue très tendance, plusieurs responsables politiques n’hésitent plus à défendre publiquement l’idée d’une Europe à plusieurs vitesses (ou à géométrie variable) : les Etats qui veulent participer à un projet doivent pouvoir le réaliser sans en être retardés ou empêchés par la réticence d’autres Etats. Oui, mais comment ?
La procédure législative dite de « coopération renforcée » peut, dans certains cas, être une réponse. Elle est prévue par l’article 20 du Traité sur l’Union européenne (TUE) et les articles 326 à 334 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Voir ces articles. Et grâce à cette procédure, le Parquet européen vient d’être créé par le Règlement du Conseil (de l’Union européenne) du 12 octobre 2017. Voir ce Règlement. Explications.
La possibilité de créer un Parquet européen est inscrite à l’article 86 TFUE : pour cela le Conseil (de l’Union européenne, c’est-à-dire composé des ministres des Etats membres) doit adopter un règlement à l’unanimité. S’il s’avère que cette unanimité ne peut être réunie, 9 Etats membres au moins peuvent déclencher la mise en œuvre d’une coopération renforcée entre eux pour la création de ce Parquet.
C’est ce qu’il s’est passé. Voici, en résumé, le chemin suivi par le texte :
– le 17 juillet 2013, la Commission propose au Conseil un règlement portant création du Parquet européen. Or, le mandat de la Commission touche à sa fin et le processus est retardé pour des raisons institutionnelles (prise de fonction d’une nouvelle Commission, puis élection d’un nouveau Parlement européen).
La procédure est reprise et va pouvoir être menée à bonne allure.
– Le 7 février 2017, le Conseil (des ministres) constate l’absence d’unanimité sur le texte à nouveau proposé par la Commission.
– Le 14 février, 16 Etats demandent au Conseil européen (Chefs d’Etat et de gouvernement) d’examiner à son tour le projet, ce qu’il fait le 9 mars et constate son désaccord sur le texte.
– Le 3 avril 2017, ces 16 Etats notifient au Parlement, au Conseil et à la Commission, leur souhait d’instaurer une coopération renforcée sur la base du règlement proposé par la Commission. Quelques jours plus tard, quatre autres Etats indiquent qu’ils souhaitent également y participer. Ils sont donc 20. Les 8 qui pour diverses raisons, plus ou moins avouables, n’y participent pas sont : le Danemark, l’Irlande, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Suède, Malte, la Hongrie et la Pologne.
– Le texte revient donc au Conseil (des ministres) : seuls les 20 Etats concernés prennent part au vote. Ils ont la ferme volonté politique d’aboutir. Ils expriment leur accord le 8 juin 2017, et le Parlement européen donne son approbation le 5 octobre.
Le Règlement est adopté le 12 octobre et il est aussitôt publié au journal officiel de l’UE.
La procédure de coopération renforcée a permis la création du Parquet européen qui sans elle, n’aurait jamais vu le jour. Ce qui aurait été regrettable.
En effet, l’objectif du Règlement intéresse tous les contribuables européens puisqu’il s’agit de lutter contre les atteintes au budget de l’Union européenne (que nous finançons en partie et dont nous profitons aussi).
Le Parquet européen aura pour mission de «rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices des infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ». Cela vise, par exemple, les détournements de subventions européennes ou leur obtention sur fausses déclarations, les fraudes transfrontières à la TVA et d’autres infractions également énumérées et définies par la Directive du PE et du Conseil du 5 juill.2017.
Il mènera des enquêtes, effectuera des poursuites et agira devant les tribunaux compétents des Etats membres contre les auteurs de ces infractions jusqu’à ce que l’affaire ait été définitivement jugée.
L’heure est maintenant à la mise en place de cette nouvelle institution qui sera basée à Luxembourg, et à la nomination de ses membres : le chef du parquet et ses deux adjoints, les vingt procureurs européens (un pour chaque Etat participant), les chambres permanentes ; il faudra aussi désigner les procureurs européens délégués dans les Etats participants (au moins 2 dans chacun). Pour tout cela, voir les articles 8 et suivants du Règlement.
Le Parquet européen n’entrera en fonction que vers la fin 2020, mais il pourra mener sa mission pour toutes les infractions commises à compter de la date d’entrée en vigueur du Règlement (article 120), c’est-à-dire le 20 novembre 2017.
On ne peut qu’applaudir à la création du Parquet européen. Preuve est faite de l’efficacité de la procédure de coopération renforcée.
Encore faut-il pour aboutir, qu’elle soit portée par des Etats animés par un projet politique solide et non par des promesses peu réalisables. La taxe sur les transactions financières en est, à ce jour, la pire illustration.
Blanche Sousi
et son équipe