Banque-Notes Express du 10 décembre 2025
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La simplification de la réglementation européenne des services financiers :
une exigence qui fait son chemin
Blanche Sousi
Professeur émérite de l’Université Lyon 3
Chaire Jean Monnet ad personam de droit bancaire et monétaire européen
Certains d’entre vous se souviennent peut-être que le précédent numéro de Banque Notes Express, portait sur le rapport LESS IS MORE et sur la nécessité de simplifier la règlementation européenne des services financiers et d’en freiner son inflation.
Nous étions en avril dernier. Depuis, la simplification de cette réglementation est quasiment devenue un étendard porté par les responsables politiques européens en charge de l’élaboration de la législation européenne. Que ce soit à la Commission européenne, au Conseil européen ou au Parlement européen, tous déclarent haut et fort qu’ils veulent simplifier et, en effet, ils simplifient.
Illustrations récentes, parmi d’autres.
À la Commission européenne : Maria Luís Albuquerque, Commissaire chargée des services financiers, a déjà lancé de nombreuses mesures de simplification décrites dans son rapport annuel d’étape (septembre 2025), et elle en annonce d’autres. Voir ce rapport (10 pages), en anglais ou en français.
C’est ainsi que s’enchaînent les propositions préparées par ses services pour alléger les obligations et charges imposées aux établissements du secteur financier de l’Union européenne (UE) par des règlementations européennes en vigueur ou en cours de l’être.
Par ailleurs, plus surprenant mais juridiquement très intéressant, la Commission européenne a dû imaginer comment elle pouvait alléger son propre fardeau devenu insupportable : celui des très nombreux mandats que les colégislateurs (Parlement européen et Conseil) lui avaient confiés pour qu’elle complète ou modifie certains points de leur législation… Elle a décidé de « dé-prioriser » (sic) une partie de ce fardeau. Explication, la moins technique possible !
D’abord le constat
Conformément à l’article 290 du TFUE (Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne), dans les directives ou règlements qu’ils adoptent (dits actes de niveau 1 ou actes de base), les colégislateurs peuvent indiquer qu’ils délèguent à la Commission européenne le pouvoir d’adopter des actes (dits actes de niveau 2 ou actes délégués) complétant ou modifiant certains éléments qui ne sont pas essentiels à l’acte de niveau 1.
Durant la dernière législature 2019-2024, ils ont ainsi donné 430 mandats concernant le seul secteur des services financiers. C’est pourquoi, confrontée à ce stock à gérer, la Commission européenne a dû imaginer comment elle pouvait en alléger le fardeau : pas si simple.
En effet, et sur le plan juridique, elle doit exécuter les mandats prévus dans le texte de niveau 1. Elle n’a pas le pouvoir de les annuler : seuls les colégislateurs pourraient le faire.
Alors ?
La solution imaginée par la Commission européenne est expliquée dans une lettre du 1er octobre 2025, écrite au nom de cette dernière, par le Directeur général de la Direction FISMA (stabilité financière, services financiers et union des marchés de capitaux), John Berrigan. Cette lettre est adressée aux autorités européennes de surveillance (AES) car, elles aussi, supportent le fardeau que constitue ce stock de 430 mandats. Ce sont elles qui préparent effectivement les projets d’actes que la Commission adoptera après avoir contrôlé qu’ils lui conviennent. Voir cette lettre(en anglais).
Il est indiqué dans cette lettre,
– qu’après discussion avec les colégislateurs, il faut considérer que sur les 430 mandats, seuls 115 d’entre eux concernent des éléments qui ne sont pas essentiels à l’acte de niveau 1. Ces mandats sont donc conformes à la condition prévue à l’article 290 du TFUE et engagent la Commission européenne. Cela signifie, a contrario, que s’agissant des autres mandats, elle n’en est pas légalement tenue ;
– que pour les 115 actes qu’elle est alors tenue d’adopter, il existe deux cas :
1 – pour ceux qu’elle doit adopter sans qu’un délai soit fixé dans l’acte de niveau 1, elle ne les adoptera pas avant le 1er octobre 2027.
Une façon de donner du temps à tout le monde : à elle-même, aux AES, et même aux colégislateurs pour exercer leur propre contrôle ;
2 – pour ceux qu’elle doit adopter dans un délai fixé, mais en vertu d’un acte de niveau 1 dont la révision est prévue d’ici deux ans (ils sont nombreux précise la lettre), la Commission européenne proposera aux colégislateurs qu’ils les amendent ou, mieux, qu’ils les suppriment lors de ces révisions. Comme déjà évoqué, eux seuls en ont juridiquement le pouvoir. En bref, la Commission européenne dispose de deux années pour les convaincre. Compte tenu de la volonté qu’ils affichent de simplifier la règlementation européenne et d’en freiner l’inflation, ils se laisseront sans doute convaincre.
Au Conseil européen, composé (on le rappelle), des chefs d’État ou de gouvernement des 27 Etats membres, 19 d’entre eux ont adressé, le 20 octobre dernier, une lettre à António Costa, Président du Conseil européen, pour appeler à « des règles, plus simples, plus efficaces et plus efficientes »(…). « Nous appelons à un examen systématique de toutes les règlementations de l’UE afin d’identifier les règles superflues, excessives et déséquilibrées ». Voir cette Lettre en anglais et en français.
Parallèlement, chacun a nommé à Bruxelles un diplomate ayant pour mission de veiller très strictement à la simplification des textes européens et à la suppression de règles superflues ou obsolètes, et cela dans tous les domaines. L’heure est à l’élagage. Le site d’information Euractiv a qualifié ces diplomates de la simplification, de « diplomates armés de tronçonneuses » !
Au Parlement européen aussi, lorsqu’il s’agit d’adopter une directive ou un règlement, la simplification est dans tous les esprits…mais peut-être un peu trop !
Qu’on en juge : lors de la session plénière du 13 novembre dernier, l’idée de simplification a permis de réunir une majorité de députés européens pour vider de sa substance une directive concernant le devoir de vigilance des entreprises. Déroutant.
À ce jour, le texte n’est pas encore définitif. Les négociations entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne sont en cours pour un compromis final qui pourrait atténuer cette simplification extrême …Il faut le souhaiter.
Pas de massacre à la tronçonneuse, mais un élagage sélectif !
