Garantie des dépôts : le malentendu de Chypre

 

Le Billet de Blanche Sousi

« On a violé le principe européen de la garantie des dépôts bancaires ! ».
Combien de fois avons-nous lu ou entendu cela à propos du plan de sauvetage de Chypre annoncé le 16 mars 2013 ? Aujourd’hui encore, alors que les modalités de ce plan ont été modifiées, cette idée qui avait semé le trouble demeure dans beaucoup d’esprits.

Or il s’agissait d’un malentendu dont les conséquences auraient pu être dévastatrices mais qui, par ricochet, a sanctuarisé la garantie des dépôts et en a fait une « intouchable » ! Cette histoire digne d’un scénario à succès mérite d’être racontée…

L’histoire se situe donc début 2013 à Chypre. Ce petit Etat de l’UE et membre de la zone euro, est confronté depuis un certain temps à la très mauvaise situation de ses finances publiques comme de son système bancaire (qui avait subi des pertes importantes lors la crise de la dette grecque). A tel point, qu’en 2012, Chypre avait dû faire appel à l’aide internationale pour obtenir un prêt. Pendant plusieurs mois, les représentants de l’Union européenne (UE), du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque centrale européenne (BCE) – composant ensemble «la Troïka » – recherchèrent avec le gouvernement chypriote les moyens d’assurer un redressement effectif de l’Ile.  Chypre estimait qu’il lui fallait trouver 17 milliards d’euros pour faire face à ses échéances, soit l’équivalent du PIB du pays…L’UE et le FMI allaient-ils consentir à les lui prêter ? Le pays était très endetté et ne pouvait déjà pas assumer le poids de sa dette. Il paraissait dès lors difficile qu’il puisse encore supporter la charge d’un prêt d’une telle ampleur. C’est pourquoi il fut proposé de limiter le prêt international à 10 milliards d’euros, Chypre devant trouver le complément par des recettes exceptionnelles provenant d’une taxe sur les dépôts bancaires : 6,75% sur les dépôts inférieurs à 100 000 € et 9,9% sur les dépôts supérieurs.
Tel est le plan annoncé le 16 mars 2013 et que le gouvernement chypriote devait soumettre au vote du parlement.

Aussitôt c’est la révolte : la population s’insurge, crie à l’injustice, refuse d’envisager de payer pour les fautes des responsables politiques. Et soudain, à l’appui de cette contestation, une clameur surgit : « toucher aux dépôts inférieurs à 100 000 €, c’est violer la garantie des dépôts inscrite dans les textes européens ! ».
Etait-ce vrai ? Juridiquement non. Voici pourquoi.

Il n’est pas rare qu’un Etat opère un prélèvement sur les revenus de sa population : les taxes sur les salaires, les diverses contributions sociales, les prélèvements à la source sur les revenus de valeurs mobilières, en sont des exemples. La taxe sur les dépôts bancaires qu’envisageait le gouvernement chypriote n’était rien d’autre qu’une modalité d’imposition visant à assurer avec rapidité et efficacité le recouvrement d’une importante disponibilité qui manquait cruellement, soit dans les caisses du système de garantie des dépôts chypriote, soit dans les caisses de l’Etat ; mais comme le prélèvement devait se faire sur les sommes déposées en banque y compris pour des montants inférieurs à 100 000 € (moins taxés que les autres, mais taxés quand même), il a été facile à ceux qui s’y opposaient de semer la panique en faisant croire qu’il y avait atteinte à la garantie des dépôts.
Or, juridiquement, cela n’était pas le cas : la garantie des dépôts joue lorsqu’une banque ne peut plus, financièrement, faire face aux demandes de retrait de ses clients. Pour remédier à cette situation, il existe dans tous les Etats de l’UE et depuis un texte européen de 1994,  un système qui prend le relais et verse donc, dans la limite d’un certain montant (actuellement 100 000 € par client déposant et par banque), les sommes déposées en compte et dont les clients demandent le remboursement.

Il est certain que ceux qui ont élaboré le plan chypriote n’ont pas eu conscience (ce qu’on peut leur reprocher) que la taxe envisagée pouvait être vue comme une atteinte à la garantie des dépôts prévue par les textes européens depuis longtemps. Peut-être ont-ils supposé que tous les déposants accepteraient un effort important du fait que l’Etat était en quasi-faillite, comme les principales banques du pays, sans oublier aussi que les dépôts étaient fortement rémunérés ce qui avait contribué à la fois à attirer les dépôts et à affaiblir les banques.

Pourtant le malentendu était bien là…repris par certains élus dans toute l’Europe, relayé sur les réseaux sociaux et par les médias, certains journalistes ayant quand même pris soin de nuancer des propos publiés par ailleurs, en écrivant que « le plan donnait l’impression d’être une atteinte à cette garantie »….Oui, c’était une impression, mais très tenace qu’aucune explication ne pouvait effacer car si certains citoyens savaient qu’il existait une garantie des dépôts, beaucoup n’en connaissaient pas le mécanisme.  S’ils ont pu se tromper, c’est sans doute à cause de leur mauvaise compréhension du sens à donner au plafond de garantie de 100 000 €. Ce qui est garanti à chaque client, c’est le montant de ce qu’il a en compte, dans la limite de 100 000 €, au moment où la garantie est déclenchée. En dehors du cas de défaillance de la banque, l’intangibilité du montant figurant sur le compte n’est pas garantie par le mécanisme : par exemple, si un huissier vient faire une saisie de 5000 € sur un compte bancaire dont le solde est de 100 000 €, personne ne peut prétendre qu’il s’agit d’une atteinte à la garantie des dépôts. De même pour la taxe de 6,75% qui devait être prélevée sur les dépôts inférieurs à 100 000 € : elle aurait diminué le montant créditeur des comptes bancaires sans qu’on puisse dire, juridiquement, qu’il y avait là une atteinte à la garantie des dépôts. Pourtant, sous l’empire de la colère et de la peur, beaucoup de citoyens européens n’étaient pas en mesure d’écouter les voix de la raison.

Face à cette fronde, violente à Chypre mais commençant à apparaître dans d’autres Etats européens ayant un système bancaire fragilisé, un profond malaise s’empare des responsables européens et de ceux qui savent que tout système bancaire repose sur la confiance des clients envers leur banque….C’est dans ce climat que, sans surprise le 19 mars, le parlement chypriote rejette le plan et cela, à l’unanimité.

La suite de l’histoire est la présentation, le 25 mars, d’un nouveau plan comportant d’autres mesures, parmi lesquelles une forte augmentation de l’impôt sur les sociétés et une hausse des prélèvements sur les dépôts supérieurs à 100000€ ;  mais, bien sûr, la taxe sur les dépôts inférieurs à 100 000 € a disparu. C’est l’aveu implicite de l’immense erreur des rédacteurs du 1er plan de n’avoir pas imaginé qu’ils allaient donner l’impression de violer la garantie des dépôts et de vouloir faire supporter à tous, y compris les plus modestes, la responsabilité d’une déconfiture, responsabilité qui incombait aux dirigeants de l’Etat, aux autorités de contrôle comme aux dirigeants des banques (une enquête pénale est en cours…).
Mais, c’est surtout la consécration de cette garantie qui, par le jeu d’un malentendu, est devenue intouchable. Tous les déposants européens peuvent dormir tranquilles, surtout ceux qui ont 100 000 € ou moins, dans leur banque. On ne touchera pas à leurs dépôts garantis.
Telle est la leçon inattendue mais très importante de cette histoire