Propos recueillis par Blanche Sousi
Charles Cornut a été Délégué général adjoint de l’Association française des banques de 1992 à 1999. Lorsqu’en 1999, est créé en France le Fonds de garantie des dépôts, il en est nommé Président du directoire, poste qu’il occupe jusqu’en 2010. Simultanément, il participe aux réflexions tant européennes qu’internationales sur la garantie des dépôts, en qualité de membre du Conseil d’administration de l’European Forum of Deposit Insurers et du Conseil exécutif de l’International Association of Deposit Insurers.
Aujourd’hui membre suppléant de la Commission des sanctions de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) (depuis sa création en 2010), Charles Cornut est également expert près la Cour d’appel de Paris.
Nous lui avons demandé de nous expliquer à quoi sert une garantie des dépôts, comment la prise de conscience s’est faite pour mieux assurer la sécurité des déposants et quelles sont les conditions pour que le système fonctionne dans l’intérêt général.
Blanche Sousi.- Pourquoi une garantie des dépôts ?
Charles Cornut. – Le financement de l’économie nécessite que des intermédiaires (les banques) prêtent de l’argent à moyen et long terme en utilisant des ressources collectées auprès de leur clientèle soit à moyen terme (comptes à terme), soit à court terme comme les dépôts à vue. Cette intermédiation essentielle au bon fonctionnement de l’économie comporte des risques, celui d’insolvabilité des emprunteurs et celui lié à la transformation d’une ressource courte, liquide, en emplois longs illiquides. Ces risques, s’ils ne sont pas encadrés et surveillés, peuvent conduire à des sinistres de grande ampleur et donc, de fait, à l’incapacité pour la banque de restituer les dépôts de la clientèle.
La pérennité de cette indispensable intermédiation repose donc sur la confiance du public dans la solidité d’un système bancaire à même de lui restituer en temps voulu les sommes mises à sa disposition par la clientèle. Cette confiance repose sur la pertinence de la réglementation prudentielle – qui permet d'exiger pour chaque banque un certain niveau de fonds propres pour couvrir l'ensemble des risques qu’elle a pris – et la qualité des contrôles interne et externe (par le superviseur en particulier). Mais rien n’est parfait, les intermédiaires peuvent frauder, les contrôleurs peuvent ne pas repérer tel ou tel type de risques, la réglementation peut perdre de sa pertinence ou un risque économique grave peut brusquement apparaitre (comme la crise de 2008).
L’insolvabilité de la banque est au bout de ces errements. C’est alors que doit intervenir sans délai et sans faillir, le système de garantie des dépôts afin que les déposants retrouvent au moins jusqu’à un certain plafond (100000 € en Europe) l’intégralité de leurs avoirs et donc ne perdent pas confiance dans le système bancaire de leur pays en cas de défaillance avérée d’une banque.
B.S.- La garantie des dépôts telle qu’aujourd’hui assurée, est le résultat de l’évolution d’une prise de conscience. Comment ?
Ch.C.- Chaque pays a une histoire bancaire et financière avec pour chacun des difficultés parfois très graves assumées par les Etats, par les déposants ou même par l’ensemble de la population. Lorsque l’Etat s’est avéré incapable d’assumer cette responsabilité, il s’en est suivi une fuite devant la monnaie (hyperinflation, dévaluation de la monnaie….ou cachette sous les matelas….).
En France, pendant longtemps l'essentiel du système bancaire était nationalisé et les difficultés parfois graves trouvaient solution au sein de l’appareil d’Etat ; ce fut l’exemple du Crédit Lyonnais, synthèse et symbole de tous les défauts d’un mélange entre l’Etat actionnaire, l’Etat régulateur et l’Etat contrôleur ayant aussi, in fine, la capacité de lever l’impôt pour payer les pots cassés…La privatisation du secteur public bancaire français, comme le développement des réseaux coopératifs – ayant des mécanismes internes assurant la solvabilité du réseau – a conduit , à la fin des années 90, à l’instauration d’un système unique de garantie des dépôts et ce, d’autant plus que la réglementation européenne faisait aux Etats obligation d’instaurer une telle garantie.
La crise financière de 2008/2009 a révélé aux déposants français les risques potentiels d’une défaillance bancaire dont ils ont en définitive été épargnés. Mais l’extrême gravité des événements en Irlande, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, avec parfois la mise en place d’une indemnisation massive, puis en Espagne , en Grèce , à Chypre, a révélé l’insuffisance des moyens en particulier juridiques à la disposition des autorités pour traiter des difficultés, qu’on peut qualifier de systémiques, sans que l’Etat soit immédiatement en 1er ligne avec pourtant un risque pour lui-même d’être défaillant devant l’énormité des sommes. La crise de 2008 a révélé l’impérieuse nécessité de disposer de moyens juridiques et financiers d’intervention préventive c'est-à-dire avant la fermeture de la banque défaillante et le bank-run – c'est-à-dire une panique – qui s’en suivrait inévitablement…..avec son cortège médiatique destructeur de l’image de l’ensemble du secteur bancaire.
B.S. – Quelles sont, selon vous, les principales conditions d’une garantie des dépôts au service de la collectivité ?
Ch.C.- La garantie des dépôts est un bien collectif qui doit être considéré et géré comme tel c’est-à- dire disposant de moyens juridiques et financiers puissants à la hauteur des défis qu’il peut être amené à affronter souvent dans des délais très brefs. Il doit être suffisamment indépendant des autorités de contrôle : on voit encore trop souvent à travers le monde des systèmes de garantie des dépôts dans la mouvance trop proche de la Banque centrale et du superviseur. Or, un système de garantie des dépôts n’est pas là pour couvrir les erreurs d’un superviseur. S’il doit en assumer sans délai les conséquences – c’est sa fonction même – pour protéger les déposants et donc préserver la confiance du public, il doit aussi avoir la capacité de se retourner contre le superviseur, en cas de faute lourde de celui-ci, pour en demander réparation.
Dans un même ensemble bancaire, la garantie des dépôts doit être réellement homogène afin d’éviter une forme malsaine de concurrence destructrice, d’où en France la création d’un système unique. Si un pas considérable a été franchi en 2009 en Europe avec l’instauration d’un même niveau de garantie partout (100 000 €), la réalité n’y est pas encore parfaite avec une situation encore très hétérogène en Allemagne et en Autriche qui ressemble à la situation en France avant la création en 1999 d’un fonds de garantie unique, le seul a pouvoir s’afficher comme garantissant les dépôts. On peut supposer, espérer que la mise en place prochaine d’un superviseur unique conséquence directe de l’Union bancaire en cours de réalisation, conduira à cette homogénéité symbole d’une saine concurrence.
Pour être efficace, le système de garantie doit pouvoir intervenir de façon préventive, c'est-à-dire sans avoir à constater la faillite formelle d’une banque mais en ayant les moyens juridiques et financiers pour organiser efficacement et sans faiblesse la disparition ordonnée d’une banque défaillante lui permettant ainsi de restituer aux déposants leurs avoirs. Pour cela des moyens juridiques adéquats sont indispensables ; leur introduction, par la récente loi bancaire française du 26 juillet 2013, est une excellente chose, c’est même pour la gestion de la sécurité du système bancaire français, beaucoup plus important qu’une séparation institutionnelle plus classique entre activités de marché et activités commerciales …..
Un autre point est essentiel : les dirigeants, c'est-à-dire aussi les membres des conseils d’administration des établissements dont la défaillance entraine l’intervention, préventive ou non, du système de garantie des dépôts doivent être tenus personnellement responsables des fautes commises dans leur gestion. Or, le champ des compétences d’un conseil d’administration est particulièrement vaste et donc les possibilités de mise en cause de la responsabilité des dirigeants sont nombreuses : orientation de la stratégie, commerciale, contrôle interne, présentation des comptes (et donc estimation des risques encourus, provisionnés ou non…..).