Propos recueillis par Blanche Sousi
Christian Noyer a été vice-Président de la Banque centrale européenne (BCE) de 1998 à 2002. Depuis 2003, il est membre du Conseil des gouverneurs de la BCE en sa qualité de gouverneur de la Banque de France, l’une des banques centrales nationales (BCNs) de la zone euro. Il est également membre du Conseil général du Système européen de banques centrales (SEBC) comme chacun des gouverneurs des BCNs de l’Union européenne.
Nous lui avons demandé de nous expliquer, à partir d’exemples concrets pris dans l’actualité, le fonctionnement du système et ses évolutions.
Blanche Sousi. – La BCE et les 17 BCNs de la zone euro forment l’Eurosystème, la BCE et les 28 BCNs de l’UE forment le Système européen de banques centrales.En prenant quelques exemples, expliquez-nous, dans ces différentes situations, quels sont les pouvoirs des banques centrales nationales par rapport à la BCE, mais aussi les relations des banques centrales entre elles.
Christian Noyer. – La politique monétaire unique ne concerne évidemment que les pays qui ont adopté l’euro, regroupés au sein de l’Eurosystème. A ce niveau, les décisions prises par le Conseil des gouverneurs (les 17 Gouverneurs des BCNs et les 6 membres du Directoire) s’appliquent de manière uniforme dans tous les pays de la zone euro. La BCE joue en quelque sorte le rôle d’un « capitaine d’équipe de foot » : son Président est le porte-parole de tout le système, elle centralise les données statistiques récoltées par les BCNs, elle est le point de rencontre de l’Eurosystème. Mais le système fonctionne de manière décentralisée : les BCNs sont impliquées dans les préparations des décisions du Conseil des gouverneurs et elles en assurent la mise en œuvre au niveau national. Par exemple, quand le Conseil des gouverneurs décide de fournir de la liquidité à trois ans aux banques, ce sont les BCNs qui réalisent concrètement les opérations, qui analysent la qualité des garanties apportées, etc.
Certaines BCNs ont, par ailleurs, la responsabilité – exercée seule ou en coopération avec d’autres BCNs – de missions pour le compte de tout le système : la fabrication des billets de banque par exemple, ou la gestion de certains dispositifs techniques. Enfin, les BCNs exercent parfois des missions purement nationales, qui n’ont pas de lien direct avec la politique monétaire. La Banque de France, par exemple, gère les dossiers de surendettement des particuliers.
Quant au SEBC, il s’apparente à un organe de coopération monétaire au sein de l’UE. Le Conseil général (les Gouverneurs de l’ensemble des Etats membres de l’UE, le Président et le vice-Président de la BCE) se réunit tous les trimestres.
B.S. – L’indépendance de l’Eurosystème à l’égard des Etats membres de la zone euro est un principe fondamental prévu par les Traités. Expliquez-nous comment, en pratique, s’exprime cette indépendance.
Ch.Noyer – L’indépendance des banques centrales repose sur un consensus théorique et pratique très fort : la politique monétaire a pour but le maintien d’une inflation faible et stable, incompatible avec les tentations politiques de stimulation de l’activité à court terme.
Elle s’exprime d’abord par le statut personnel de chacun des membres du Conseil des gouverneurs de la BCE : nous avons tous des mandats longs et irrévocables. Une particularité de la BCE est que la responsabilité des décisions prises est collégiale et non individuelle comme à la Banque d’Angleterre par exemple. Les opinions individuelles des Gouverneurs sont censées ne pas être publiques, ce qui, dans les faits, renforce notre protection contre d’éventuelles ingérences politiques. Le Traité nous interdit de prendre ou de recevoir des instructions de la part non seulement des gouvernements, mais aussi des institutions européennes, comme la Commission ou le Conseil.
La crise, en renforçant les responsabilités portées par les banques centrales, a toutefois multiplié les risques de brouillage des limites entre politiques monétaire et budgétaire. Il faut donc aujourd’hui rester vigilant pour préserver cet acquis extrêmement précieux.
B.S. – Face à la crise financière que nous avons traversée, la BCE a montré sa capacité à restaurer la confiance dans la zone euro. Elle a notamment adopté des mesures dites « non conventionnelles ». Qu’est ce que cela signifie ?
Ch.Noyer – Les mesures dites « conventionnelles » sont les mesures qui touchent les taux d’intérêt fixés par la BCE. Jusqu’à la crise, cet instrument était prédominant dans notre action. En montant ou en baissant les taux, nous parvenions à remplir notre objectif de maintien de la stabilité des prix. Quand la crise est arrivée, les choses se sont compliquées. D’une part, parce qu’une fois baissés à des niveaux très bas, les taux ne peuvent plus guère être descendus davantage. D’autre part, parce que les dysfonctionnements des marchés financiers empêchaient la bonne transmission de nos mesures conventionnelles à l’économie. Il a donc fallu innover et c’est ce que nous avons fait dans toutes nos mesures dites « non-conventionnelles ».
Elles peuvent se classer en deux grandes catégories. Les mesures de soutien à la liquidité bancaire, pour permettre aux banques de continuer à prêter : nous avons mis en place une politique d’offre de liquidité en quantité illimitée dès la fin 2008, en contrepartie de garanties apportées par les banques plus larges qu’auparavant, et pour une durée plus longue, allant jusqu’à trois ans. Et les mesures d’intervention sur les marchés, par achats de titres, notamment de dette souveraine, sur le marché secondaire (donc auprès d’investisseurs, pas directement auprès des États) : ce sont les programmes « SMP » (Securities Markets Programme), de plus de 200Mds€ et « OMT » (Outright Monetary Transactions), annoncé mais non encore utilisé.