Le Parlement européen : quel pouvoir dans l’adoption de la législation européenne ?
Pervenche Berès est députée au Parlement européen dont elle préside actuellement la commission de l’emploi et des affaires sociales. Elle présidait auparavant la commission des affaires économiques et monétaires. Nous lui avons demandé de nous expliquer, à partir d’exemples concrets pris dans l’actualité, quel est aujourd’hui le pouvoir du Parlement européen dans l’adoption de la législation européenne
Blanche Sousi – Dans la plupart des cas, la législation européenne est adoptée conjointement par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne. Quel est alors le réel pouvoir du Parlement pour modifier une proposition de texte (directive ou règlement) qui a été élaborée par la Commission européenne ?
En prenant l’exemple de la limitation des bonus des banquiers, expliquez nous comment s’est déroulée la négociation avec le Conseil.
Pervenche Berès – Le Parlement européen a vu le périmètre de la codécision s’étendre à un nombre significatif de domaines législatifs depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en décembre 2009. La codécision signifie que le Parlement européen est co-législateur avec le Conseil des ministres de l’Union européenne, institution représentant les gouvernements des Etats membres : les députés européens peuvent donc modifier les propositions législatives élaborées par la Commission européenne dans des domaines aussi divers que la liberté de circulation et de séjour des travailleurs, la recherche, l’environnement, ou encore les marchés financiers.
Si les projecteurs médiatiques sont plus souvent braqués sur les sommets du Conseil européens durant lesquels les 27 chefs d’Etat et de gouvernement se réunissent, il n’en demeure pas moins que les députés européens jouent un rôle essentiel dans l’élaboration de la législation européenne : ainsi, la négociation sur la révision de la directive relative au exigences de capitaux propres des banques (dite CRD IV) a été l'occasion pour le Parlement européen d'imposer au Conseil des dispositions spécifiques visant à encadrer strictement les rémunérations des traders officiant dans les établissements financiers. C’est l’équipe de négociation du Parlement européen qui a su convaincre la majorité des membres du Conseil de fixer un ratio entre la part variable de leurs revenus et leur salaire fixe, et ce malgré l'opposition farouche du Royaume-Uni.
B.S. – Dans les cas où le Parlement européen n’a qu’un pouvoir d’avis, comment peut-il néanmoins imposer son point de vue sur un texte et même obtenir un réel pouvoir décisionnel ?
En prenant l’exemple du projet de supervision unique européenne, expliquez nous comment et pourquoi le Parlement européen a pu obtenir un droit de véto sur la nomination du Président et du Vice Président du futur Comité de supervision européenne.
P.B. – Si le champ de la codécision s'est considérablement élargi, il n'en demeure pas moins que les dispositions du Traité prévoient que certaines matières législatives relèvent de la compétence exclusive du Conseil où le Parlement n'est que consulté.
Le Parlement européen parvient pourtant à dépasser cette contrainte juridique. Le dernier exemple en date a concerné la mise en place de la supervision unique européenne, premier pilier de l’Union bancaire. Le Parlement européen a exigé que le texte renforçant les prérogatives de l'Autorité Bancaire Européenne, et pour lequel il avait un pouvoir de co-décision, et le texte donnant de nouvelles compétences à la Banque Centrale Européenne, et sur lequel il n'avait qu’un pouvoir d’avis, fassent l'objet d'un seul et même "paquet" de négociation.
Le Parlement européen s'est donc vu reconnaître un rôle de co-législateur là où le Traité ne prévoyait qu'une consultation formelle. Cette reconnaissance a des conséquences extrêmement importantes sur le fonctionnement du Comité de supervision qui sera placé au sein de la Banque Centrale européenne : à l'avenir, la nomination des responsables de cet organe chargé d'assurer la supervision des principaux établissements bancaires de la zone euro devra faire l'objet d'une approbation par le Parlement européen qui pourra également exercer un pouvoir de contrôle sur leurs activités.
B.S. – Vous êtes aujourd’hui Présidente de la commission de l'emploi et des affaires sociales du Parlement européen et vous étiez auparavant Présidente de la commission des affaires économiques et monétaires.
Le Parlement européen a-t-il, concrètement, les mêmes pouvoirs dans ces deux domaines ? Les objectifs respectifs sont-ils conciliables ?
P.B. – Ces deux commissions parlementaires sont compétentes dans de très nombreux domaines qui impactent directement la vie de nos concitoyens en Europe: ainsi, les travaux de la commission de l'emploi et des affaires sociales (EMPL) concernent les aspects liés aux différents aspects de la politique sociale (condition de travail, sécurité sociale, protection sociale), à la politique de formation professionnelle, au dialogue social, à la libre circulation des travailleurs et des retraites dans l'Union ou encore à la lutte contre l'ensemble des formes de discrimination au travail et sur le marché de l'emploi, autres que celles fondées sur le sexe.
La commission des affaires économiques et monétaires (ECON) traite des questions liées au fonctionnement de l'Union Economique et Monétaire (UEM), notamment à travers l'approfondissement du cadre de la gouvernance économique de l'Union et participe directement à l'élaboration de la législation européenne dans le domaine de la réglementation des marchés financiers et des autorités chargées d'en assurer la supervision.
La compétence de la commission EMPL est souvent « horizontale » au sens où l’enjeu est d’identifier la dimension sociale d’une législation. Par ailleurs, la montée en puissance du débat sur « une véritable Union économique et monétaire » à l’aune de la crise de la zone euro oblige à une collaboration très étroite entre la commission EMPL et la commission ECON. Cela concerne tant la façon de repenser le « policy mix » (articulation entre politique budgétaire et politique monétaire), de mesurer l’impact social de l’austérité, d’inclure la dimension sociale dans l’architecture future ou le dialogue social dans la dimension démocratique de l’UEM.