Banque-Notes Express du 27 décembre 2020
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L’accord de commerce et de coopération entre l’UE et le RU :
un divorce aux aguets
Blanche Sousi
Professeur émérite de l’Université Lyon 3
Chaire Jean Monnet ad personam de droit bancaire et monétaire européen
avec Anthony Maymont
Maître de conférences en droit privé
Membre du Centre de recherche Michel de l'Hospital (EA 4232) – Université Clermont Auvergne
Vous étiez peut-être, comme moi et beaucoup d’observateurs des deux côtés de la Manche, lassés de cette série anglaise qu’on avait cessé de suivre : le Brexit. Or, le 24 décembre au soir, volant la vedette au Père Noël, ce feuilleton interminable a suscité un regain d’intérêt à l’annonce de « l’accord de principe » trouvé entre les négociateurs, à savoir l’imprévisible Boris Johnson pour le Royaume-Uni (RU), et l’infatigable Michel Barnier pour l’Union européenne (UE). On sait que celui-ci a défendu, fermement et sans relâche pendant 4 ans et demi, les intérêts de l’UE (ses citoyens, ses entreprises, son marché), suivi par les 27 Etats membres conscients que l’unité était vitale. Il y est parvenu, même si avec lucidité (et diplomatie ?), il a déclaré que « dans le Brexit, il n’y a pas de gagnant : c’est perdant-perdant ».
Et maintenant ? Il faudra du temps pour étudier le texte de l’accord dont la version provisoire (en anglais) est disponible (1163 pages outre les annexes). Mais le communiqué de presse publié par la Commission européenne (voir en français) permet de comprendre l’essentiel : il s’agit d’un accord de commerce et de coopération entre l’UE et le RU. Ce partenariat comprend de nombreux engagements dont il faudra veiller au respect, mais il a des conséquences immédiates et certaines. En voici quelques-unes.
La date d’application de l’accord : le 1er janvier 2021. Cela est certain, même si à cette date, l’accord ne sera pas juridiquement en vigueur : bizarre ? Peut-être, mais parfaitement conforme aux traités européens. Explication.
Juridiquement, l’entrée en vigueur de l’accord suppose que la procédure soit achevée, ce qui n’est pas encore le cas, car pour l’heure, il s’agit d’un accord de principe. Le déroulement de la procédure exige :
– une décision du Conseil de l’UE autorisant, à l’unanimité des 27 Etats membres, la signature de l’accord ;
– puis, l’approbation du Parlement européen ;
– et enfin, une décision du Conseil de l’UE relative à la conclusion de l’accord.
Or, le temps presse : l’accord doit pouvoir être appliqué dès le 1er janvier 2021 car la période, dite de transition, qui avait été convenue pour le négocier, prend fin le 31 décembre 2020… Si l’accord n’est pas juridiquement conclu à cette date, on se trouvera dans une situation ubuesque de « no deal » ! Inconcevable, comme est inconcevable l’idée de priver le Parlement européen du temps nécessaire pour statuer en connaissance de cause sur cet accord. Que faire ?
Comme très souvent, la réponse est dans les traités : le Conseil de l’UE peut, en effet, autoriser une application provisoire d’un tel accord, avant même son entrée en vigueur. C’est ce qui est prévu en l’espèce : la Commission propose qu’il soit applicable provisoirement au 1er janvier 2021 et pour une durée limitée au 28 février 2021. Du temps est ainsi laissé au Parlement européen et au Parlement britannique, d’ailleurs, qui doit de son côté également approuver l’accord. On n’ose pas imaginer un refus d’approbation…
Le Royaume-Uni quitte le marché unique européen et l’union douanière :
cela signifie la fin de la libre circulation des personnes, des marchandises et des services entre l’UE et le RU ainsi que dans le sens inverse. Ce sera donc au 1er janvier 2021. Des avantages (pas de droits de douanes ni de quotas) ou aménagements sont cependant convenus : voir le tableau (en anglais) établi par la Commission européenne.
Conséquence pour les services financiers : la logique absolue des règles du marché unique européen, et donc du « passeport financier », défendue par Michel Barnier est respectée : c’est heureux. Comme nous l’avions écrit ici même dès 2016 (Banque-Notes express du 27 juin 2016), renier cette logique aurait été un coup porté aux banques européennes et à l’exigence d’une égale concurrence (level playing field), qui fonde depuis toujours la construction européenne.
Ainsi donc, dès le 1er janvier 2021, les établissements britanniques agréés par les autorités du Royaume-Uni (y compris les nombreuses filiales de banques d’autres pays tiers) perdront ce passeport qui leur donnait le droit d’exercer leur activité dans tous les 27 Etats membres en libre prestation de services ou en y implantant une succursale, et cela sans avoir à obtenir une autorisation des différents Etats d’accueil concernés. Ils devront désormais l’obtenir de chacun des Etats où ils voudront exercer leur activité.
Pour atténuer la rigueur de cette logique, les britanniques avaient deux espoirs :
– obtenir l’application de la clause des droits acquis (appelée aussi clause du grand père ou grand fathering), ce qui aurait permis aux établissements britanniques ayant déjà leur passeport de le garder. Il n’en est rien ; ils le perdent.
– obtenir de la Commission européenne des équivalences réglementaires, et cela avant le 31 décembre 2020 : on rappelle que les établissements situés dans des pays tiers (tel le Royaume-Uni) dont les réglementations sont jugées équivalentes à celles édictées par l’Union européenne, peuvent accéder au marché intérieur européen pour les activités relevant desdites réglementations. Or, les décisions d’équivalence sont de la compétence de la Commission européenne qui est maître du jeu pour décider si et quand elle accorde des équivalences, à quel pays tiers et pour quelles activités, mais aussi pour les retirer lorsque les conditions ne sont plus remplies.
Malgré les demandes du Royaume-Uni, elle n’a, pour l’heure, adopté qu’une seule décision d’équivalence de la réglementation britannique ; il s’agit de sa décision du 21 septembre 2020 qui accorde donc l’équivalence aux chambres centrales de compensation de la City, mais pour une durée de 18 mois. Cela était indispensable pour assurer la stabilité financière, compte tenu du rôle actuel déterminant de ces chambres (comme expliqué dans sa Communication du 9 juillet 2020 : « Se préparer aux changements », au point B.1 Services financiers).
Le Royaume-Uni a attendu, en vain, d’autres décisions d’équivalence…. Pensant faire avancer ce qu’il voulait considérer comme une négociation, il a annoncé le 9 novembre dernier qu’il allait de son côté reconnaître l’équivalence de la réglementation européenne dans plusieurs domaines financiers afin que les établissements européens puissent continuer à exercer leurs activités à Londres, comme ils le font actuellement grâce à leurs propres passeports financiers.
Cela n’a pas entamé la détermination de la Commission européenne de prendre son temps pour délivrer au Royaume-Uni des décisions d’équivalence. D’ailleurs, comme elle le rappelle dans une courte Brochure (en anglais) de présentation du partenariat, « l’accord ne couvre pas les décisions d’équivalence pour les services financiers. Cela reste et restera des décisions unilatérales de l’UE qui ne sont pas sujettes à négociation ». On ne peut être plus clair !
D’ailleurs, dans un document contenant diverses déclarations en marge de l’accord, figure (en page 2) une déclaration concernant les services financiers et dans laquelle l’UE et le RU conviennent d’une coopération en vue d’établir une relation durable et stable entre leurs autorités respectives. Il est notamment précisé que d'ici mars 2021, un protocole d'accord fixera le cadre de cette coopération et que des discussions seront menées sur les futures décisions d’équivalence entre l’UE et le RU, sans préjudice du processus décisionnel unilatéral et autonome de chacune des parties.
Ce sont des engagements… comme il y en a beaucoup d’autres dans l’accord lui-même. En effet si, comme on vient de le voir, l’accord de commerce et de coopération entre l’UE et le RU est d’application immédiate (au 1er janvier 2021), il contient beaucoup d’engagements des deux parties, qu’il faudra mettre en œuvre… et faire respecter.
Il n’est pas possible ici de les énumérer tous, et encore moins de les détailler. On retiendra de ces engagements :
– qu’ils reposent sur des principes essentiels : une libre et loyale concurrence (le level playing field, principe fondamental de l’UE), la protection des droits fondamentaux et des données personnelles, le respect de l’environnement, un commerce équitable et durable ;
– qu’ils couvrent de très nombreux domaines : commerce de biens, services, investissements, commerce électronique, propriété intellectuelle, transports, énergie, climat, pêche et ressources naturelles, droits sociaux, sécurité des citoyens, lutte contre le blanchiment des capitaux, etc.
A noter que certains domaines sont exclus : par exemple, les services publics, les services d’intérêt général, mais aussi les services d’audiovisuel.
Tous ces engagements qui constituent ce nouveau partenariat, seront-ils bien respectés, bien appliqués, bien compris ? Cela n’est pas certain. L’important sera donc de le vérifier au fil des ans.
C’est pourquoi, pour que l’accord « résiste à l’épreuve du temps », comme cela est joliment écrit dans le communiqué de presse (précité), l’UE a insisté sur la nécessité de prévoir une gouvernance unique portant sur l’ensemble de l’accord, et non secteur par secteur. Cela évitera, en effet, une addition de structures parallèles.
Les dispositions concernant cette gouvernance figurent dans le texte de l’accord (p. 383 et suiv. de la version provisoire) et dans la première annexe intégrée à l’accord (p. 410 et suiv.).
En bref, si l’une des parties estime que l’autre ne respecte pas les termes de l’accord, une phase de consultations sera ouverte pour tenter de trouver une solution.
A défaut, le différend pourra être porté devant un Conseil de partenariat dont la mission sera de veiller à une mise en œuvre et une interprétation correctes de l’accord. En cas de difficultés persistantes, la partie plaignante pourra demander la création d’un tribunal arbitral.
Tout cela est accompagné de mécanismes contraignants d’exécution et de règlements des différends afin de garantir le respect des droits des entreprises, des consommateurs et des particuliers. On aura compris combien, notamment, sera surveillé le respect d’une égale concurrence entre les entreprises des deux côtés de la Manche.
On notera enfin qu’en cas de violation de l’accord, les deux parties (UE et RU) pourront prendre des mesures de rétorsion dans tous les domaines du partenariat économique.
Le divorce entre l’UE et le RU est bien aux aguets. Nous n’avons pas fini d’entendre parler de nos relations avec nos amis anglais ! Cela, c’est certain.
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