Banque-notes Express du 23 juin 2020
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Angela Merkel, présidente de l’Union européenne le 1er juillet ?
ou la nécessité de rappeler qui préside quoi
Blanche Sousi
Professeur émérite de l'Université Lyon 3
Chaire Jean Monnet (ad personam) de droit bancaire et monétaire européen
et son équipe
Non ! Angela Merkel ne va pas présider l’Union européenne (UE) à compter du 1er juillet. Pourtant à lire certains articles de presse, bon nombre de citoyens européens pourraient le croire. En témoigne ce titre lu récemment dans un quotidien français à large diffusion, « Angela Merkel se prépare à prendre la tête de l’Union européenne ». Le raccourci est certainement vendeur mais, sans être vraiment faux, il prête à confusion : pour être exact, il aurait fallu écrire « L’Allemagne se prépare à prendre la présidence du Conseil de l’Union européenne ».
Vous me direz (et vous aurez raison) que, même ainsi exactement rédigée, l’information n’est pas plus claire pour autant, au contraire ! On peut, en effet, être perdu lorsqu’on suit les actualités européennes car, tantôt il est question du « Conseil européen », tantôt du « Conseil de l’Union européenne », parfois du « Conseil des ministres », ou tout simplement du « Conseil », sans parler du « Conseil de l’Europe » ! Comment se retrouver dans cette terminologie, qui fait quoi et en quoi consiste cette présidence de l'Allemagne ?
Quelques rappels et explications s’imposent (le plus simplement possible) à l’attention de ceux qui ne fréquentent pas régulièrement les traités européens…
D’abord ne pas confondre l’Union européenne (UE) et le Conseil de l’Europe : ce sont deux organisations distinctes, régies par des textes distincts. Le Conseil de l’Europe, principale organisation de défense des droits de l’homme du continent européen, n’entre pas directement dans le champ de nos Banque-Notes. Dès lors, nous renvoyons, pour l’heure, les lecteurs à son site (très pédagogique).
Ensuite au sein de l’Union européenne, ne pas confondre le Conseil européen et le Conseil de l’Union européenne :
– le Conseil européen : il réunit les 27 chefs d’Etat ou de gouvernement des Etats membres (et bien sûr Angela Merkel parmi eux). Il a un président (en plus de ces 27) qui, depuis le 1er décembre 2019 est Charles Michel (mandat de 2 ans ½, renouvelable une fois) : Angela Merkel n’en sera donc pas la présidente le 1er juillet. Le Conseil européen donne à l'Union européenne les implusions nécessaires à son développement et en définit les orientations et les priorités politiques générales, mais il n’a pas de pouvoir législatif (article 15 du Traité sur l’Union européenne – TUE). Créé sous l’impulsion de Valéry Giscard d’Estaing, sa première réunion s’est tenue en mars 1975. On trouvera les travaux et d’utiles informations, y compris historiques, sur le site du Conseil européen ;
– le Conseil de l’Union européenne (UE) : on souligne (pour ceux qui pourraient se poser la question) que dans les Traités, quand il est simplement écrit « le Conseil », il s’agit du Conseil de l’Union européenne (et non du Conseil européen).
Ce Conseil est composé d’un représentant de chaque Etat au niveau ministériel (c’est pourquoi il est parfois dénommé « Conseil des ministres »), et siège en différentes formations : affaires générales, agriculture, économie et finances (on parle alors de l'ECOFIN), justice, éducation, emploi, etc.
La présidence du Conseil de l’UE est dite tournante car elle est assurée successivement par chaque Etat membre et pour 6 mois. Ce n’est donc pas une personne mais un Etat qui préside ce Conseil, et c’est au tour de l’Allemagne à compter du 1er juillet et jusqu’au 31 décembre 2020. Puis viendra le tour du Portugal, puis de la Slovénie. On verra plus loin que ces trois Etats devront coopérer sur une période de 18 mois Voir le tableau des prochaines présidences jusqu’en 2024.
Chaque réunion est présidée par le ministre qui est responsable du domaine concerné dans l’Etat assurant la présidence : ainsi Olaf Scholz, le ministre des finances allemand, présidera les réunions de l’ECOFIN à partir du 1er juillet et pour 6 mois, etc. Pour tout savoir sur le Conseil de l’UE, voir.
Ce système de présidence éphémère et tournante peut susciter quelques interrogations : quelle est sa raison d’être, quel est son pouvoir ?
En réalité, ces deux questions sont liées. En effet, contrairement au Conseil européen, le Conseil de l’UE dispose, parmi d’autres pouvoirs, du pouvoir législatif, c'est-à-dire du pouvoir d’adopter les textes européens (les règlements et directives). Dans la procédure législative ordinaire prévue par les traités actuels, il partage ce pouvoir avec le Parlement européen (ils sont donc colégislateurs), mais à l’origine en 1957 dans le Traité de Rome, il l’exerçait toujours seul (l’Assemblée parlementaire n’avait alors qu’un rôle consultatif).
Dès cette époque, il avait été prévu que la présidence du Conseil serait exercée « à tour de rôle par chaque Etat membre pour une durée de six mois et selon l’ordre alphabétique ». Volonté des pères fondateurs que chaque Etat accède à cette présidence pour la même durée et d’une manière automatique : belle leçon de traitement égal à l’abri des tractations partisanes…
Cependant, au fil des élargissements, il est apparu nécessaire d’assurer une meilleure continuité des travaux législatifs. A cette fin, il a été décidé (déclaration n°9 annexée au Traité de Lisbonne de 2007) que le groupe composé des trois Etats qui auront successivement la présidence du Conseil travaillera en coopération et élaborera un programme général commun sur 18 mois ; étant précisé que sur la base de ce programme, chacun des Etats de ce « trio » pourra détailler son programme semestriel.
On note qu’il n’est plus question de suivre l’ordre alphabétique, mais de prédéterminer ces trios « en tenant compte de leur diversité et des équilibres géographiques au sein de l’Union ». Voir le tableau, déjà évoqué plus haut, des présidences tournantes jusqu’en 2024.
Et c’est ainsi que s’achèvera le 30 juin prochain la présidence tripartite du trio Roumanie-Finlande-Croatie, et que débutera le 1er juillet la présidence tripartite du trio Allemagne-Portugal-Slovénie qui a pris pour devise officielle : « Ensemble pour une Europe plus forte, plus juste, plus durable ». Le programme de ce trio de présidences a été présenté le 16 juin, par les trois ministres des affaires européennes concernés.
L’Allemagne a ouvert un site dédié à sa présidence semestrielle avec cette devise : « Tous ensemble pour relancer l’Europe ». On trouvera sur ledit site, à compter du 1er juillet, toutes les informations concernant le programme, les manifestations et l’actualité de cette présidence.
Quant à Angela Merkel, elle en a déjà largement présenté le programme, lors d’une déclaration au Bundestag le 19 juin. Elle a notamment souhaité que le Conseil de l’UE « trouve rapidement un accord aussi bien sur le budget de l’UE que sur le Fonds de relance pour l’Europe ». Et comme nous l’avons déjà précisé, ce n’est pas elle qui présidera les différentes réunions du Conseil, mais un de ses ministres en fonction des sujets traités.
Rappelons que ce Fonds de relance pour l’Europe présenté par la Commission européenne au Parlement européen, le 27 mai dernier, a largement été inspiré par l’initiative franco-allemande du 18 mai 2020 (voir Banque-Notes Express du 25 mai 2020).
Son adoption requiert l’unanimité des Etats membres. Plusieurs d’entre eux ont déjà exprimé leurs réserves, voire leur opposition à certaines de ses modalités : conditions de l’aide financière qui sera accordée aux Etats les plus touchés, nature de cette aide (prêts ou subventions), etc. Or il y a urgence, comme l’a souligné Angela Merkel : les chiffres actuels de l’économie européenne exigent une action rapide et déterminée. Un accord unanime des Etats membres est espéré pour la mi-juillet.
Par un heureux hasard du calendrier, la présidence allemande hérite de cette mission difficile : trouver un consensus. Il y va de l’avenir de l’Union européenne et de la survie économique de tous les Etats membres.
« L’Europe a besoin de nous, de la même manière que nous avons besoin de l’Europe. L’Europe n’est pas seulement un héritage historique, c’est un projet qui nous guide vers l’avenir ». Ces mots prononcés par Angela Merkel devant le Bundestag, en prélude à la Présidence allemande du Conseil de l’UE, témoignent de ses profondes convictions européennes, dans l’esprit de Jean Monnet : travailler ensemble dans l’intérêt commun. Qui pourrait prendre la responsabilité d’un échec ?
C’est donc du fait de l’indéniable influence de la Chancelière au moment où l’Allemagne va assurer la présidence du Conseil, que des journalistes ont été prompts à titrer qu’Angela Merkel allait prendre la tête de l’Union européenne le 1e juillet.
Même si elle ne va pas présider l’Union européenne à cette date, relevons qu’elle en préside déjà, avec d’autres, la fabuleuse destinée.
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