Le billet de Blanche Sousi
Un jour, alors que je venais de présenter une directive à un public que je croyais assez averti, et auquel j’avais expliqué comment le texte avait été préparé et proposé par la Commission européenne, quelqu’un m’a demandé : « mais de quelle Commission parlez vous ? »… Je n’ai jamais oublié cette question qui me montrait à quel point les institutions européennes étaient alors mal connues.
C’était il y a quelques années. Aujourd’hui, les citoyens européens n’ignorent généralement plus l’existence même de ce qu’ils appellent parfois « la Commission de Bruxelles », mais leur méconnaissance a pris une autre forme, plus préoccupante : beaucoup ne la connaissent qu’à travers des projets de réformes souvent très complexes, des discours politiques qui servent des préoccupations nationales, des revendications diverses qui s’expriment dans la rue ou sur les réseaux sociaux. Et relayant ce qu’ils ont lu ou entendu, beaucoup de citoyens la disent «antidémocratique », la croient « déconnectée des réalités » et l’imaginent comme un « monstre technocratique». Une telle vision montre combien la Commission européenne reste toujours aussi mal connue.
Antidémocratique ? C’est oublier que si la Commission a certes l’initiative des textes européens, elle n’a que le pouvoir de les proposer aux deux législateurs, c’est-à-dire le Parlement européen (élu au suffrage universel) et le Conseil de l’UE (les ministres des Etats membres). Elle propose un texte, qu’ensuite le Parlement et le Conseil examinent, amendent, et adoptent (ou rejettent).
Déconnectée des réalités ? C’est oublier qu’avant de proposer un texte, la Commission procède à de vastes études et consultations : consultations des représentants des différentes parties concernées (professionnels, consommateurs), mais aussi consultations publiques, ouvertes sur son site et auxquelles quiconque peut participer, en donnant son point de vue sur le projet de texte envisagé.
Monstre technocratique ? C’est oublier que la Commission est composée d’un collège de 28 membres, hommes ou femmes politiques – choisis en raison de leur compétence générale, de leur engagement européen et offrant des garanties d’indépendance (article 17.3 Traité sur l’Union européenne) -, issus de chacun des 28 Etats membres et que, comme dans un gouvernement, chaque commissaire, tel un ministre, a en charge un domaine (affaires monétaires, agriculture, concurrence, éducation, marché intérieur et services, etc…). Bien évidemment, comme nos ministres, chacun dispose d’une administration qu’on peut comparer à nos ministères. Oui, des fonctionnaires travaillent dans les services de la Commission (les Directions générales), de même que des fonctionnaires travaillent dans nos administrations ministérielles ; mais ce sont les commissaires (comme tout ministre) qui prennent la décision politique de préparer (ou pas) tel ou tel texte et donnent l’impulsion de telle ou telle réforme, qu’ils portent parfois avec ténacité contre des opinions contraires.
Précisément, au-delà de la vision déformée qu’ils ont souvent, les citoyens européens ignorent aussi, et surtout, que la Commission européenne « agit dans l’intérêt général de l’Union et prend les initiatives appropriées à cette fin » (article 17.1 du Traité sur l’Union européenne). Les commissaires ne représentent pas l’Etat dont ils sont issus : c’est un regrettable raccourci de langage que de parler du « Commissaire espagnol » ou du « Commissaire français », etc… Tous ensemble, ils composent la Commission européenne et sous la présidence de l’un d’entre eux (actuellement José Manuel Barroso), œuvrent pour l’intérêt général européen, comme l’exige le Traité. Rien de tel pour le Conseil où chaque ministre prend le plus souvent des positions conformes à l’intérêt national de l’Etat membre qu’il représente, ni pour le Parlement où chacun des députés européens défend la ligne du parti auquel il est rattaché ou les préoccupations de ses propres électeurs. Cela est dans la logique de ces deux institutions. La Commission européenne est le contrepoids de ces tentations partisanes et gouvernementales, et c’est bien ainsi qu’il faut la comprendre. Elle est au cœur de la méthode communautaire qui fonde toute la construction européenne : elle doit veiller au respect de l’intérêt général européen.
Mais alors, comment se fait-il que les citoyens le sachent si rarement ? Peut-être parce que ceux qui, au niveau national, pourraient le leur dire, jugent plus utile de ne pas le faire. C’est tellement facile de promettre à ses concitoyens qu’on va faire prévaloir l’intérêt national face à celui des autres Etats. Sauf si après, il faut leur expliquer que cela n’a pas été possible….. Les citoyens européens méritent mieux que cela : ils sont en mesure de comprendre que l’Union ne peut se faire que dans l’intérêt général européen et que la Commission y veille.