Valse anglaise

Depuis quelques jours, vous entendez et lisez tout et son contraire après le référendum confirmant le souhait du Royaume-Uni de sortir de l’Union européenne (UE). Sur place, on se réjouit de ce résultat ou on le déplore (on pleure même), on fête le départ ou on envisage les moyens de l’éviter…Sur le continent, pour certains ce serait la fin du projet européen, pour d’autres une chance pour le relancer. Evidemment, chacun est dans son rôle et tous en appellent à nos émotions.
Ce qui est inacceptable, au-delà des prises de position purement politiques au soutien de thèses partisanes, ce sont les déclarations approximatives ou les raccourcis erronés qui trompent les citoyens et sèment la confusion, même si cela n’était pas intentionnel. Parfois ces annonces paraissent anodines, elles n’en sont pas moins inexactes et sources de malentendus.
Par exemple, celle lancée par nombre de commentateurs ou journaux désireux de faire du sensationnel dès le vendredi 24 au matin, et souvent reprise sur les réseaux sociaux : « L’Europe des 28 se réveille à 27 ! ».  Faux évidemment. Le résultat du vote britannique n’a pas, de lui-même et en un instant, fait sortir le Royaume-Uni de l’Union européenne. Cela se fera à l’issue d’une procédure qui peut être assez longue, d’autant que le top départ est entre les mains du gouvernement britannique. En attendant, nous sommes toujours 28 dans l’Union européenne et les droits et obligations du Royaume-Uni restent les mêmes, comme le rappellent les présidents des institutions européennes dans un Communiqué du 24 juin 2016 (en anglais !).
Quelques précisions sur cette procédure : elle est prévue dans le traité sur l’Union européenne (TUE), et plus précisément à Article 50  qui constitue ce que l’on appelle « la clause de retrait ».
Il ressort de ce texte que le Royaume-Uni devra notifier au « Conseil européen » (c'est-à-dire au Conseil composé des chefs d’Etat ou de gouvernement), son intention de se retirer. Aucun délai n’est précisé à ce stade ce qui laisse, en quelque sorte, au gouvernement britannique le choix de la cadence initiale. Après cette notification, une période de négociation (qui ne peut excéder deux ans) s’ouvrira pour préparer un accord fixant les modalités et les conditions du retrait, et donc les relations futures qu’entretiendront l’UE et le Royaume-Uni.
Juridiquement, les acteurs et les responsables de cette négociation avec le Royaume-Uni seront : le Conseil européen (en l’occurrence sans le premier ministre du Royaume-Uni), le Conseil de l’UE (composé pour chaque Etat membre, d’un ministre le représentant mais, là encore pour cette négociation, sans le représentant du Royaume-Uni), la Commission européenne et enfin le Parlement européen dont l’approbation est nécessaire à l’adoption de l’accord. Il est évident que de nombreuses autres voix, tout aussi importantes, se feront entendre lors de ces négociations. Certaines commencent à se manifester.
Ce n’est qu’à la date d’entrée en vigueur dudit accord, que le Royaume-Uni sortira juridiquement de l’UE.
Dès lors quel sera son statut au regard de l’UE ? Les possibilités sont nombreuses : statut d’un simple pays tiers, ou statut d’un pays comme la Norvège (pays ayant adhéré à l’Espace économique européen-EEE), ou encore statut d’un pays comme la Suisse (ayant signé des accords bilatéraux), etc. Tout peut sortir de la négociation, y compris un statut inédit à imaginer…
Or l’enjeu est considérable dans tous les domaines et, en particulier, en matière bancaire et financière. On rappelle, en effet, qu’en vertu des textes européens, les établissements de crédit et les entreprises d’investissement qui ont reçu, d’une autorité compétente de l’EEE (l’UE + Norvège, Islande Liechtenstein), un agrément pour exercer leur activité dans l’un de ces 31 Etats, ont le droit de l’exercer par voie de succursale ou en libre prestation de services dans les 30 autres, sans avoir à y demander un nouvel agrément : c’est le « passeport européen ».
Il en va différemment pour les établissements de crédit et entreprises d’investissement agréés par un pays tiers.  Ce qui, d’ailleurs, explique pourquoi certains établissements de ces pays (USA, Pays du Moyen Orient, ou d’Extrême Orient, etc.) ont, et depuis longtemps, créé une filiale dans un Etat membre de l’Union européenne : une telle filiale est agréée comme un établissement de cet Etat et obtient, par là même, le passeport européen.  
Qu’adviendra-t-il des établissements agréés par le Royaume-Uni (y compris les nombreuses filiales de banques de pays tiers) et donc de la Place financière de Londres ? Tout va dépendre des termes de l’accord à venir.
Par exemple, pourrait-on décider que le Royaume-Uni ne soit pas dans l’EEE mais que ses banques continuent à profiter librement de ce grand marché ?
Chacun comprendra que ce serait un coup porté aux banques européennes et à l’exigence d’une égale concurrence (level playing field) qui fonde depuis toujours la construction européenne. Ce serait, en plus, un signal dangereux pour l’avenir même du projet européen car cela créerait un précédent aux conséquences imprévisibles.
Ceux qui négocieront l’accord fixant les relations entre l’UE et le Royaume-Uni après sa sortie, ont donc une immense responsabilité.
Mais quelques lecteurs pourraient penser que tout cela est sans objet…car déjà, à Londres, des voix rappellent que le résultat du référendum ne liant pas le gouvernement, la notification qui ouvre la procédure de retrait peut tarder ou ne jamais être faite.  Si c’est de l’humour anglais, il n’est pas drôle.

 

Blanche Sousi
et son équipe