L’Autorité bancaire européenne aura son siège à Paris.
Confirmation que la France sait (désormais) faire un lobbying efficace.
En discutant un jour à l’Université avec une collègue, je l’avais informée – non sans une certaine fierté – que, comme chaque année, j’allais faire venir un lobbyiste de Bruxelles pour qu’il explique à mes étudiants la place de son métier dans le processus décisionnel européen. Après un petit silence, elle m’avait lancé : « c’est écœurant »… Cela me confirmait la nécessité absolue d’une pédagogie en ce domaine.
C’était il y a longtemps : l’époque où dans l’opinion française, le lobbying était un mot sulfureux parce que toujours confondu avec corruption et donc totalement incompris, et où les acteurs économiques français n’ayant pas cette culture (contrairement à certains de leurs homologues européens, sans parler des américains), en maîtrisaient mal les rouages et subissaient quelques déconvenues en s’y essayant.
Les choses ont changé : l’actualité récente montre que les décideurs politiques et économiques français savent désormais mener un lobbying efficace et osent le revendiquer. Le succès de leur mobilisation pour obtenir le transfert à Paris du siège de l’Autorité bancaire européenne (ABE ou selon le sigle anglais EBA pour European Banking Authority) en est une nouvelle et rassurante confirmation.
Première conséquence visible du Brexit, l’ABE installée à Londres depuis sa création en 2011, doit donc déménager dans les prochains mois pour s’établir à Paris. La décision, très attendue, a été prise le 20 novembre dernier par le Conseil de l’Union européenne (réuni dans « sa formation article 50 », c'est-à-dire sans le Royaume-Uni). Vingt-sept Etats (chacun représenté par un ministre) ont ainsi participé à ce vote marquant la fin d’une minutieuse procédure de sélection elle-même fixée le 22 juin 2017 par le Conseil européen (les 27 chefs d’Etat et de gouvernement) : dépôt des dossiers de candidatures, évaluation par la Commission européenne de chacune des offres, modalités de vote.
La France a convaincu par la qualité du dossier de candidature qu’elle présentait, parfaitement préparé, puis expliqué pendant des mois partout dans l’Union européenne par des « ambassadeurs » hautement crédibles : c’est cela le lobbying. Ce savoir-faire a valu à Paris d’être finaliste alors que 7 autres villes étaient concurrentes et non des moindres (Bruxelles, Dublin, Francfort, Luxembourg, Prague, Varsovie, Vienne). On sait que le suspense fut total jusqu’au bout : en effet, à l’issue du 2ème tour, Francfort était éliminée car n’ayant obtenu que 4 voix, alors que Paris en obtenait 10 et Dublin 13. Comment chacun des quatre Etats qui avait voté pour Francfort, allait-il reporter sa voix au 3ème tour ? Les négociations ont sans doute été particulièrement intenses avant de passer au vote…Surprise ! 13 voix pour Dublin (qui a simplement maintenu son score du 2ème tour), mais 13 également pour Paris (qui, elle, a su rallier trois nouvelles voix). On remarque qu’un Etat s’est abstenu. Deux finalistes donc, que seul un tirage au sort (prévu par la procédure) pouvait départager. Ce sera Paris !
L’enjeu était de taille dans la perspective de la recomposition du paysage bancaire et financier européen après la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Le transfert du siège de l’ABE change la donne et va, dans son sillage, entraîner l’implantation de divers opérateurs bancaires et financiers venus de Londres, d’Europe ou d’ailleurs, comme aimantés par le nouvel attrait de la place bancaire et financière de Paris.
Pourquoi ? Tout simplement parce que, institutionnellement, les professionnels du secteur bancaire mais aussi les représentants de leur personnel et de leurs clientèles, sont largement associés aux missions de l’ABE et qu’une proximité géographique facilite une participation active et efficace.
En effet, il convient d’assister à des réunions, à des auditions publiques, aux séances du groupe permanent des parties prenantes du secteur bancaire (voir les membres actuels), sans parler des rencontres informelles toujours utiles : tout cela se tient au siège de l’ABE, c'est-à-dire à Londres, ce qui est un avantage pour ceux qui, aujourd’hui, y sont installés. Demain, ce sera un avantage pour ceux qui sont à Paris… Quant à ceux qui n’y sont pas encore, ce sera une bonne (nécessaire) stratégie de s’y établir tant il est important pour toutes les parties prenantes de pouvoir participer dans les meilleures conditions aux décisions qui seront prises par l’ABE et de faire entendre leur voix.
Pour le comprendre, il suffit de relever que parmi ses principales missions, l’ABE contribue :
– à une meilleure harmonisation de la réglementation applicable aux établissements de crédit de l’Union européenne et à une plus grande convergence des pratiques du contrôle bancaire effectué par les différentes autorités nationales : tout cela pour assurer une concurrence égale entre les établissements ;
– à un renforcement de la protection des déposants et investisseurs ;
– et d’une façon générale, à la stabilité et à l’efficacité à court, moyen et long terme du système financier pour l’économie de l’Union, ses citoyens et ses entreprises. (Voir Règlement du 24 nov.2010 instituant l’ABE).
L’ABE rend des avis à la Commission européenne pour l’élaboration des textes concernant les établissements de crédit et les entreprises d’investissement, elle édicte des orientations, des recommandations. Elle prépare et assure la coordination des tests de résistance (voir Banque-Notes Express du 4 novembre 2014) : elle lance d’ailleurs celui de 2018 en ce 31 janvier.
Bref, ce sont des compétences importantes (parmi d’autres), mais qui bientôt seront élargies comme le prévoit une proposition de règlement du 20 septembre 2017 en cours d’adoption : nouvelles technologies, protection des consommateurs (et non plus seulement des déposants et investisseurs), ou encore nouveaux pouvoirs pour renforcer la convergence des pratiques du contrôle bancaire en Europe.
En revanche, le travail et les initiatives de l’ABE seront davantage encadrés par le Parlement européen, le Conseil et la Commission, mais aussi par le groupe des parties prenantes : une procédure de contestation lui permettra de saisir la Commission s’il estime que l’ABE outrepasse ses pouvoirs en émettant certaines recommandations… Nul doute que les professionnels du secteur bancaire sauront être vigilants.
L’ABE avec des compétences élargies mais sous contrôle des parties prenantes : voilà de quoi attirer à Paris tous ceux qui savent qu’une présence permanente sur place est la meilleure façon d’être entendus et compris. C’est cela le lobbying (et rien d’autre) comme l’a expliqué à mes étudiants, la semaine dernière, le lobbyiste venu de Bruxelles…
Blanche Sousi et son équipe