Alliances et compromis, c’est possible…
au niveau au européen !

Blanche Sousi
Professeur émérite de l’Université Lyon 3
Chaire Jean Monnet ad personam de droit bancaire et monétaire européen

 Il y a quelques jours, comme beaucoup de citoyens français, je participais à une discussion sur la difficulté pour le chef de l’Etat de nommer, au vu des résultats des élections législatives françaises du 7 juillet, un Premier ministre dont le gouvernement serait assuré d’une certaine stabilité.
L’un des participants, peu familier du fonctionnement de l’Union européenne (UE), me lança avec un brin d’ironie : « J’imagine qu’à 27, la nomination des dirigeants européens est encore plus difficile». Il fut amusé par ma réponse : « Eh bien, non ! Cela est plus facile ». Il a cru que je plaisantais ce qui, bien sûr, n’était pas le cas.

En effet, le Parlement européen a été renouvelé le 9 juin dernier, et même si les résultats de ces élections ont modifié le poids des différentes forces politiques en présence (voir l’actuelle répartition des sièges), et qu’aucun groupe n’a la majorité absolue, il n’y a pas eu de difficulté pour enclencher aussitôt et mener, à 27, les procédures de nomination des prochains dirigeants de l’UE dont le mandat vient à expiration.

Certaines de ces procédures sont, à ce jour, déjà achevées (Présidence du Parlement européen, Présidence du Conseil européen) ; celle concernant la Commission européenne, est également en bonne voie de l’être.

Explications (qui sont aussi une mise à jour de Banque-Notes Express diffusé il y a 5 ans après les précédentes élections européennes. Voir Banque-Notes Express du 3 juillet 2019 ).

Parlement européen
Présidente sortante, Roberta Metsola a été réélue, le 16 juillet dernier, dès le premier tour à la majorité absolue, pour une durée de 2 ans et demi renouvelable.

A noter qu’elle a obtenu 562 voix alors que son parti, le PPE, compte 188 députés : les alliances ont joué comme d’habitude. Preuve est faite que dans un parlement où aucun groupe politique n’a la majorité absolue, l’élection au perchoir est plus facile à Bruxelles qu’à Paris (où il a fallu, le 18 juillet dernier, 3 tours pour la réélection, à la majorité relative, de Yaël Braun-Pivet à la présidence de l’Assemblée nationale).

Conseil européen
On rappelle que le Conseil européen est composé des chefs d’Etat ou de gouvernement des 27 Etats membres de l’UE. A ne pas confondre avec le Conseil de l’UE composé des ministres des 27, et dont la présidence tournante tous les six mois est assurée par un des Etat membres (actuellement la Hongrie).

Le Conseil européen donc, présidé jusqu’au 30 novembre 2024 par Charles Michel, a élu le 27 juin dernier, Antonio Costa pour lui succéder à ce poste. Il prendra ses fonctions le 1er décembre, pour une durée de 2 ans et demi renouvelable une fois.

Ainsi, le Parlement européen a élu sa présidente, le Conseil européen son président. Rien de plus simple, chaque institution étant maître à bord pour nommer celle ou celui qui assurera cette fonction. Il n’en va pas de même pour la Commission européenne car la procédure de nomination de ses dirigeants est beaucoup plus originale… mais sans  être source de difficultés.

Commission européenne
La procédure de nomination des dirigeants de la Commission européenne suppose l’intervention de plusieurs autorités : le Conseil européen, le Parlement européen, la Présidente de la Commission européenne mais aussi chaque Etat membre. Une telle procédure peut sembler difficile à mener : il n’en est rien grâce le plus souvent au jeu des alliances et des compromis.

- Présidence de la Commission européenne
Pour cette nomination, le Conseil européen et le Parlement européen sont en quelque sorte co-décisionnaires. La procédure, enclenchée dès le 27 juin 2024 par le Conseil européen, suit actuellement son cours tranquillement et sûrement.

Voici comment.
Le jeu a été ouvert par Conseil européen conformément aux dispositions de l’article 17 paragraphe 7 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TUE). Lors de sa réunion du 27 juin, outre l’élection de son prochain président, le Conseil européen a proposé au Parlement européen la candidature d’Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission européenne.

La procédure s’est poursuivie au Parlement européen, compétent pour voter sur cette proposition. On sait qu’Ursula von der Leyen est membre du PPE  lequel ne dispose, comme déjà signalé plus haut, que de 188 députés. Or, dès le 18 juillet (le Parlement renouvelé était en place depuis le 16), elle a obtenu la majorité absolue avec 401 voix. Voir. Une fois encore, des alliances ont permis cette élection, ou plus précisément, cette réélection pour un deuxième mandat, puisqu’Ursula von der Leyen préside déjà la Commission européenne depuis novembre 2019.

La voilà donc présidente élue, mais non encore nommée… car la procédure n’est pas achevée comme on le verra plus loin.

- Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité
Cette nomination se joue à trois : le Conseil européen, la présidente élue de la Commission européenne et le Parlement européen.

Le Conseil européen a encore ouvert le jeu lors de sa réunion du 27 juin. Il a estimé qu’à son avis, Kaja Kallas (actuellement Première ministre d’Estonie) est une candidate appropriée pour cette fonction de haut représentant de l’Union et donc pour succéder à Josep Borrell Fontelles à ce poste.

Conformément au traité, elle sera également vice-présidente de la Commission européenne. C’est pourquoi Ursula von der Leyen doit donner son accord sur cette candidate comme elle va le faire pour les autres membres du collège des commissaires. Justement, l’heure est au choix de ces commissaires européens.

Le collège de la Commission
Ils seront 27 commissaires (1 par Etat membre) et composeront le collège de la Commission européenne.

Ils sont choisis à partir des suggestions faites par chacun des Etats membres (article 17 paragraphe 7 TUE). Ursula von der Leyen a demandé que deux noms lui soient suggérés par chaque Etat membre : le nom d’un homme et celui d’une femme, et cela pour le 31 août. Tous n’ont pas respecté cette demande de parité (qui est dans l’air du temps, mais pas dans le texte du traité !).

Au vu de ces suggestions, le Conseil en accord avec Ursula von der Leyen, établira, courant septembre, la liste des candidats proposés aux différents postes de commissaires.

Puis ce sera le temps pour le Parlement européen d’auditionner chaque candidat. Les auditions ne se déroulent pas en session plénière, mais devant une ou plusieurs commissions parlementaires en fonction du poste attribué au candidat (marché intérieur, services financiers, agriculture, etc.). Ce n’est pas une simple formalité. Les auditions sont très organisées  (elles sont déjà prévues entre le 29 septembre et le 7 octobre 2024) : elles sont publiques et seront transmises en direct sur le site Multimedia du Parlement européen. Un grand oral redoutable et parfois redouté. Il est arrivé que certains candidats renoncent (avant l’audition) ou retirent leur candidature après, pour ne pas mettre en difficulté l’ensemble du collège lors du vote global à intervenir…

En effet, l’ensemble du collège de la Commission (présidente, haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, et autres commissaires) sera soumis au Parlement européen en séance plénière pour un vote d’approbation, déjà prévu le 22 ou le 23 octobre 2024.

Enfin, après cette approbation, la Commission européenne sera formellement nommée par le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, et entrera en fonctions le 1er novembre 2024 pour 5 ans.

Ainsi aujourd'hui, pour qui connaît le fonctionnement de l’UE, il n’est pas étonnant que le Président de la République ait nommé comme Premier ministre une personnalité aguerrie à la culture des alliances et des compromis : Michel Barnier.