Qu’est-ce qu’un jeton numérique ?
Réponse dans le Règlement européen (dit MiCA) en préparation

Blanche Sousi
Professeur émérite de l’Université Lyon 3
Chaire Jean Monnet ad personam de droit bancaire et monétaire européen

Il y a quelques années, lorsque j’ai entendu pour la première fois parler de « jeton numérique » (en anglais digital token), j’ai cru que mon interlocuteur était un poète et qu’il se livrait à cette figure de style qu’on nomme oxymore, tant l’alliance de ces deux mots me semblait contradictoire. Car dans notre inconscient, y-a-t-il plus tangible qu’un jeton ? On le tient dans la main, qu’il soit en argile, comme le jeton romain qui, sous l’Antiquité, permettait d’assister à un spectacle ou de se rendre aux bains ; qu’il soit en simple métal, comme autrefois le jeton téléphonique, ou en métal précieux (argent ou or) comme sous l’Ancien Régime le jeton de présence remis aux membres des administrations royales en rémunération de leur assiduité ; ou encore en plastique, comme le jeton de casinos. Bref, parler d’un jeton numérique me paraissait relever de la fantaisie ou de l’inconcevable.

J’avais tort. Les lecteurs initiés le savent, la dénomination « jeton numérique » fait partie intégrante du vocabulaire de la technologie blockchain. Un bitcoin, un ethereum, des stablecoins (jetons de valeur stable), des NFTs (non-fungible tokens - jetons non fongibles), etc., sont tous des jetons numériques, même s’ils n’ont pas tous les mêmes caractéristiques ni les mêmes fonctions. On l’expliquera plus loin.

Tous peuvent être définis (selon une définition généralement admise) comme étant la représentation numérique d’une valeur ou d’un droit, pouvant être transférée et stockée au moyen d’une blockchain ou, plus largement, d’un système électronique dit « des registres distribués » (DLT dans le sigle anglais signifiant «Distributed Ledger Technology »).

Ils concernent de plus en plus de secteurs économiques et sont parfois très spéculatifs et donc très volatils, ce que l’actualité rappelle régulièrement.

Ils ont fleuri sur des marchés fonctionnant en dehors de toute réglementation et indépendamment de toute autorité officielle, ce qui explique évidemment l’engouement qu’ils ont suscité. Les législateurs de certains pays ont réagi assez rapidement pour assurer le contrôle des émetteurs de tels jetons et la sécurité des investisseurs. Il en est ainsi, par exemple, de la Suisse, des Etats-Unis, de Malte et bien sûr de la France avec sa loi du 22 mai 2019 (dite loi Pacte).

Les banquiers centraux ont également réagi rapidement lorsqu’ils ont compris que certains stablecoins (tel le projet Libra, aujourd’hui baptisé Diem, envisagé par Facebook) risquaient de concurrencer les monnaies émises par les banques centrales. Ils mènent activement des expérimentations et des études en vue d’émettre de la monnaie numérique de banque centrale (voir Banque-Notes Express du 27 fév.2020), comme en témoigne encore le « projet Jura » annoncé conjointement, le 10 juin dernier, par la Banque de France, la Banque nationale suisse et la Banque des règlements internationaux.

Quant à l’Union européenne, le Règlement concernant les marchés de Crypto-Actifs (dit Règlement MiCA) est en cours d’adoption : on remarque, au passage, que le législateur européen utilise l’expression « crypto-actifs » (en anglais crypto-assets)  là où le législateur français utilise l’expression « actifs numériques » (articles L. 54-10-1 et L. 552-2 du Code monétaire et financier). Dans les deux cas, il s’agit de désigner, dans un sens large, l’ensemble des jetons numériques comme définis plus haut.

La proposition de Règlement MiCA a été présentée par la Commission européenne, le 24 septembre 2020 avec tout un ensemble de mesures sur la finance numérique (voir Banque-Notes Express du 17 novembre 2020). Le texte de cette proposition est actuellement soumis à l’examen du Conseil et du Parlement européen. Quelques mois seront, sans doute, encore nécessaires pour que le Règlement soit adopté ; il le sera peut-être sous la présidence française du Conseil de l’UE prévue du 1er janvier au 30 juin 2022.

En attendant cela n’interdit pas, au contraire, de comprendre dès maintenant l’essentiel de ce qui se prépare au plan européen et surtout d’essayer d’y voir plus clair dans les différents jetons numériques qui relèveront, ou pas, de ce texte. Explications le plus simplement possible.

Lire la suite