Finance numérique, euro numérique :

Commission européenne et Banque centrale européenne versus stablecoins

Blanche Sousi
Professeur émérite de l’Université Lyon 3
Chaire Jean Monnet ad personam de droit bancaire et monétaire européen

et son équipe

 

Il y a quelques années, un fonctionnaire en poste à la Commission européenne était venu à la rencontre de mes étudiants pour leur parler des paiements dans l’Union européenne (UE). A un moment donné, il a sorti de sa poche son téléphone mobile (son GSM comme on dit à Bruxelles) et nous le montrant, il a dit joyeusement, sachant qu’il allait nous étonner : « bientôt nous pourrons tous payer avec ce simple appareil ! ». Des murmures, dubitatifs ou amusés, ont traversé l’amphi…

Depuis, ce qui était fiction est devenu réalité, banalité même car les évolutions technologiques ont ouvert d’autres horizons dans les services financiers, en particulier en matière de paiements. Or, certains systèmes hors contrôle sont apparus depuis quelques années, mettant en risques les usagers (particuliers ou entreprises) qui seraient tentés d’y recourir.

En effet, à côté des acteurs traditionnels (établissements de crédit, établissements de monnaie électronique, établissements de paiement, intermédiaires en opérations de banque et services de paiement, notamment) soumis à une règlementation européenne stricte assurant la sécurité des opérations, de nouveaux acteurs ou systèmes informatiques cryptés à l’échelle mondiale (via des chaînes de blocs ou blockchain) sont désormais en mesure d’offrir, non plus seulement de simples crypto-actifs (terme approprié pour monnaies virtuelles) comme le bitcoin,  dont la volatilité avérée est dangereuse, mais des crypto-actifs dont la valeur est liée à celle de monnaies bien réelles (dollar, yen, euro etc.) ou de matières premières. Ils sont donc supposés plus stables : c’est pourquoi pour les désigner, on parle de stablecoins (jetons de paiement en français), comme par exemple, le projet Libra annoncé par le Groupe Facebook en juin 2019 (non encore lancé).

Pour les acteurs traditionnels soumis, eux, à une règlementation et un contrôle exigeants, il y a là le risque d’une concurrence inacceptable car contraire au level playing field, principe fondamental selon lequel « mêmes activités, mêmes risques, mêmes règles ».

De plus, de telles solutions de paiements, non réglementées ni contrôlées, sont des menaces non seulement pour la sécurité des paiements mais aussi pour la stabilité financière, l’intégrité des marchés, la politique monétaire des Banques centrales et la souveraineté monétaire.

Bref, face à ces risques, les autorités européennes devaient réagir. C’est ce qu’elles font. De Bruxelles à Francfort, l’offensive est à l’œuvre. Explications.

A Bruxelles, la Commission européenne vient d'adopter un ensemble de mesures sur la finance numérique dans l'UE.
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