Le carré d’as du Conseil européen…largement dans la main du Parlement européen

Mardi 2 juillet 19h15, un communiqué très officiel annonce dans un raccourci en grande partie trompeur : « Le Conseil européen nomme les nouveaux dirigeants de l’UE ».

Même s’il est vrai que l’intégralité du communiqué nuance fort heureusement le propos, c’est cette « information » qui a été relayée aussitôt et qui est reprise en boucle depuis : sur les chaînes de TV, les radios, les réseaux sociaux et même dans la presse écrite la plus sérieuse, on annonce et on commente ces « nominations » : Charles Michel à la présidence du Conseil européen, Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission européenne, Josep Borrell Fontelles au poste de haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, et Christine Lagarde à la présidence de la Banque centrale européenne (BCE).

Or, si le Conseil européen (les 28 chefs d’Etat et de gouvernement, Theresa May comprise) a dévoilé son carré d’as pour ces quatre postes, la procédure de nomination est loin d’être achevée pour trois d’entre eux pour lesquels la parole est maintenant à d’autres institutions européennes, en particulier le Parlement européen : sans lui, le Conseil européen ne pourra pas procéder effectivement à ces trois nominations.
Cela mérite, peut-être, quelques rappels de procédure.

La présidence du Conseil européen : c’est, à ce jour, la seule nomination effective, car elle relève uniquement de la compétence du Conseil européen en vertu de l’article 15 paragraphe 5 du Traité sur l’Union européenne (TUE). Charles Michel a donc été élu le 2 juillet par le Conseil européen pour succéder à Donald Tusk dont le mandat s’achève le 30 novembre 2019 ; il prendra ses fonctions le lendemain, 1er décembre 2019 (pour une durée de 2 ans 1/2 renouvelable une fois).

La présidence de la Commission européenne : la procédure de nomination est prévue à l’article 17 paragraphe 7 du TUE. Conformément à ce texte, « En tenant compte des élections au Parlement européen et après avoir procédé aux consultations appropriées », le Conseil européen propose au Parlement européen un candidat pour ce poste.

A ce sujet, on rappelle que l’interprétation du texte avait fait naître il y 5 ans, l’idée selon laquelle la tête de liste du parti majoritaire au Parlement devait être ce candidat proposé par le Conseil ; et selon ce principe (spitzenkandidat), Jean-Claude Juncker était devenu président de la Commission européenne. Cette interprétation n’est pas partagée par tous les chefs d’Etat et de gouvernement (on peut le comprendre !), mais avant les élections de mai 2019, elle avait encore ses défenseurs (notamment la Commission européenne).

En fait, au vu des résultats de ces élections, la question ne se pose plus tout à fait de la même manière : la donne a changé puisqu’il n’y a plus au Parlement un groupe politique assez nombreux pour imposer un candidat.

C’est dans ces conditions que le Conseil européen a pu choisir de proposer Ursula von der Leyen comme candidate au poste de présidente de la Commission européenne ; mais ce n’est qu’une proposition faite au Parlement qui détient seul le pouvoir de l’élire.

Un vote sur cette candidature aura donc lieu. Ursula von der Leyen sera élue si elle obtient la majorité des membres composant le Parlement. Gageons que des consultations « appropriées » auront été menées par le Conseil européen avant de proposer sa candidature et que la majorité sera réunie sur son nom. Si tel n’est pas le cas, le Conseil européen devra proposer, dans un délai d’un mois, un nouveau candidat à l’élection qui se déroulera selon la même procédure.

Le rôle du Parlement européen ne s’arrête pas à l’élection de celle ou de celui qui présidera la Commission européenne. Comme on le verra plus loin, il intervient également pour élire l’ensemble de Commission (présidence comprise).

Le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité : sa nomination est prévue à l’article 18 du Traité sur l’Union européenne (TUE). Le Conseil européen vient donc de proposer Josep Borrell Fontelles à ce poste pour succéder à Federica Mogherini le 1er novembre 2019 pour un mandat de 5 ans. Comme elle, il sera également vice-président de la Commission européenne.

Encore faudra-t-il l’accord de la présidente de la Commission lorsqu’elle sera élue par le Parlement, pour que le Conseil européen nomme formellement ce haut représentant.
On constate qu’à ce stade, le Parlement européen n’a pas à voter sur ce nom, mais comme on l’a déjà évoqué, il interviendra pour élire l’ensemble de la Commission, y compris ce haut commissaire. On y reviendra.

La présidence de la BCE : la procédure de nomination au poste de président(e) est fixée à l’article 283 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Le Conseil européen a donc proposé la candidature de Christine Lagarde pour succéder à Mario Draghi dont le mandat de 8 ans vient à échéance le 31 octobre 2019.

Avant de pouvoir la nommer formellement, le Conseil européen doit avoir recueilli l’avis du Conseil des ministres des finances (Conseil ECOFIN), avoir consulté le Conseil des gouverneurs de la BCE (c’est-à-dire son directoire et les gouverneurs des banques centrales nationales des 19 Etats de la zone euro), mais aussi le Parlement européen dont l’accord est également nécessaire.

Tout cela permet de rappeler l’importance du Parlement. Nous l’élisons au suffrage universel, il nous représente, et il est bon de savoir et de faire savoir combien son rôle est déterminant dans ces trois nominations proposées par le Conseil européen.
D’autant que ce rôle ne se limite pas à un simple vote : au préalable, l’audition de chaque candidat est organisée suivie d’un débat. En pratique, un tel débat est généralement très nourri, les députés ne se privant pas de questionner les candidats. Il constitue parfois une véritable et redoutable épreuve de grand oral. Le vote intervient ensuite.

Cette procédure est prévue :

-  pour l’élection à la présidence de la Commission européenne évoquée plus haut,

- mais aussi pour l’élection de l’ensemble de la Commission en tant que collège c'est-à-dire  (article 17 paragraphe 7 alinéa 3 TUE) : président(e) élu (e), haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, candidats proposés aux différents postes de commissaires.
Après les auditions et les débats, le Parlement passe au vote. La Commission est élue si elle recueille la majorité des suffrages exprimés sur appel nominal. Il arrive qu’un candidat à un poste de commissaire retire sa candidature avant son audition ou après, pour éviter un rejet sur son nom. C’est dire que la procédure n’est pas une simple formalité.

Ce n’est qu’après le vote du Parlement élisant ainsi toute la Commission, que le Conseil européen pourra procéder formellement à sa nomination et pour 5 ans. L’entrée en fonction doit avoir lieu le 1er novembre 2019, le mandat de la Commission sortante prenant fin la veille.

- Enfin, la procédure d’audition suivie d’un débat et d’un vote du Parlement européen est également prévue dans la procédure de nomination à la présidence de la BCE. Compte tenu de la personnalité de Christine Lagarde, de son cursus et de ses qualités, on peut logiquement penser que le Parlement rendra un avis positif sur sa candidature et que le Conseil européen pourra effectivement la nommer pour être présidente de la BCE : elle prendra ses fonctions le 1er novembre 2019 pour un mandat de 8 ans (non renouvelable).

Ainsi donc, et contrairement à ce que l’on entend, c’est lorsque chacune de ces procédures sera achevée, que l’on pourra dire que le « Conseil européen a nommé les nouveaux dirigeants de l’UE ».

                                                                                                                   Blanche Sousi et son équipe