Variations sur le thème du Parlement européen

Comme tous les cinq ans, lorsque vient le temps de son renouvellement, le Parlement européen inspire (pour une courte période, il est vrai), commentaires, opinions, débats, dans la presse écrite et audiovisuelle, sur les réseaux sociaux, ou au coin de la rue : ce sont autant de questions, d’incertitudes, de convictions… Tout cela exprime, quoi qu’on en dise, l’intérêt des citoyens pour l’Europe mais aussi souvent (encore et encore) leur méconnaissance ou leur mauvaise compréhension de son fonctionnement.
Dans le souci de pédagogie qui nous anime, nous proposons ici quelques éléments et pistes de clarification sur deux points revenant souvent dans les questions qui nous sont posées  :  les élections européennes à l’aune du Brexit d’une part et le pouvoir du Parlement européen d’autre part.

Les élections européennes à l’aune du Brexit
La participation des britanniques aux élections du Parlement européen surprend beaucoup de citoyens (y compris au Royaume-Uni).
Il est vrai que ces élections se déroulent, comme chacun le sait, dans le contexte très particulier du Brexit : comment conjuguer ces deux évènements qui se produisent en même temps mais qui sont contradictoires ? Question juridique dont la réponse suppose un raisonnement en deux étapes.

1 - Les élections ayant lieu, selon les différents Etats membres entre le 23 et le 26 mai, le Royaume-Uni doit y participer s’il est toujours membre de l’UE : c’est bien le cas à l’heure où nous écrivons, puisque son retrait effectif est encore en attente de la décision du Parlement britannique… Telle est l’implacable logique juridique qu’il faut accepter pour éviter un risque d’invalidation des élections. C’est clair et chacun peut le comprendre facilement… mais ensuite ?

2 –Ensuite, il faudra gérer la situation née de cette élection de députés britanniques au Parlement européen alors que la procédure de sortie du Royaume-Uni  de l’Union européenne est en cours. L’hypothèse avait été prévue et réglée dès le 28 juin 2018, par une Décision du Conseil européen (chefs d’Etat et de gouvernement y compris Theresa May pour le Royaume-Uni) sur initiative du Parlement européen. Voici comment.

Les 73 députés britanniques qui seront élus, siègeront au Parlement européen jusqu’à la date du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. A noter que si ce retrait a lieu avant la première séance plénière du Parlement européen ainsi renouvelé (prévue le 2 juillet 2019), ils auront certes été élus mais sans jamais pouvoir siéger.  C’est un scénario juridiquement cohérent et que certains estiment probable. Wait and see.

Quoi qu’il en soit, qu’adviendra-t-il de ces 73 sièges lorsqu’ils seront vacants ? La réponse se trouve dans la décision du Conseil européen, précitée, du 28 juin 2018 :

- 46 sièges seront en quelque sorte gelés, ce qui réduira d’autant la composition du Parlement européen : celui-ci passera de 751 à 705 députés (bonne nouvelle pour ceux qui plaident pour une réduction du budget de fonctionnement du Parlement) ;

- les 27 sièges restants seront attribués à certains Etats membres pour tenir compte de l’évolution de leur démographie depuis les dernières élections, il y a 5 ans. Les Etats concernés auront donc davantage de sièges que dans le Parlement sortant dont la composition avait été fixée toujours par le Conseil européen, par Décision du juin 2013 et toujours sur initiative du Parlement européen (conformément à l’article 14  §2 du Traité sur l’Union européenne).

A titre d’exemple, la France qui disposait de 74 sièges dans le Parlement sortant doit en avoir 79 dans le prochain. En revanche, la Belgique et le Luxembourg ne bénéficient d’aucun siège supplémentaire. Une simple lecture comparée de la répartition des sièges fixée dans la décision de 2013 et dans celle de 2018 permet de savoir à quels Etats profitera (à cet égard seulement !) le Brexit.

En bref : tant que le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne ne sera pas juridiquement effectif, le nombre de sièges par Etat membre reste celui prévu par la décision du Conseil de 2013 ; après ce retrait, ce nombre sera celui prévu par la décision du Conseil de 2018. Le mécanisme jouera automatiquement et pour tous les Etats concernés.
Solution simple à situation exceptionnelle.

Quel est le pouvoir du Parlement européen ?
La question est essentielle à la veille des élections européennes et pour être plus exacte, elle devrait être quels sont les pouvoirs du Parlement européen ? En effet, ses pouvoirs (principalement prévus aux articles 223 à 234 et 317 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) sont nombreux et puissants : il faut qu’il en soit ainsi car le Parlement européen, élu au suffrage universel direct, représente les citoyens européens. On retiendra surtout son pouvoir législatif mais aussi son pouvoir de contrôle sur les autres institutions européennes et en particulier sur la Commission européenne. Quelques brèves précisions.

Sur son pouvoir législatif ­
Il le partage avec le Conseil en ce sens que ces deux institutions sont véritablement les co-législateurs européens. En effet, quasiment tous les textes européens (directives, règlements) sont adoptés en co-décision, c’est-à-dire avec l’accord de l’un et de l’autre (après examen du texte, amendements éventuels, conciliation si nécessaire).C’est la procédure législative ordinaire.

Sur son pouvoir de contrôle politique
Il nous paraît nécessaire de souligner ici son rôle dans la composition même de la Commission européenne : en effet, c’est le Parlement que nous allons élire cette semaine qui va formellement élire, avant l’automne, le prochain président de la Commission européenne (article 17 § 7 du Traité sur l’Union européenne). Or, il devra statuer à la majorité de ses membres : on comprend, dès lors, l’importance de savoir dimanche 26 mai au soir, si au vu des résultats des élections européennes dans tous les Etats membres, un parti européen pourra à lui seul dans le prochain Parlement réunir cette majorité. Ce point n’étant pas du tout certain, la question des alliances se posera.

Lorsque le président de la Commission aura été élu, le Parlement auditionnera, le moment venu, les candidats aux postes de commissaires et pourra rejeter leur candidature (il est arrivé que des candidats devancent ce rejet en renonçant à leur candidature).

Le Parlement détient également un pouvoir dans de nombreuses autres nominations (Président et directoire de la Banque centrale européenne, Médiateur européen, membres de la Cour des comptes…).
On ne peut citer ici tous ses pouvoirs aussi nombreux qu’importants (ratification des accords internationaux, modification des traités européens, etc.) sans oublier son pouvoir d’influence de plus en plus fort à tous égards, et en particulier pour la défense des droits des citoyens.

Pour aller plus loin, on consultera le document de Notre Europe - Institut Jacques Delors daté du 3 mai 2019, fruit des réflexions d’un groupe de travail présidé par Pascal Lamy et composé notamment de plusieurs députés européens ayant une longue expérience en ce domaine (dont Pervenche Berès, Jean-Louis Bourlanges, Alain Lamassoure) : Le Parlement européen - Un Parlement différent. Vous y trouverez dans un langage clair et pédagogique une quantité d’informations sur son rôle, son travail, ses actions. A sa lecture, on mesure combien ce Parlement est puissant et combien il a su, peu à peu, accroître son influence.

Et puisque de nombreux lecteurs sont, comme nous, attentifs à la législation concernant les services financiers, qu’il nous soit permis de conclure ces brèves variations sur le thème du Parlement européen en signalant, à toutes fins utiles, l’état d’avancement des récents travaux législatifs en matière de services financiers. Ce tableau (en anglais) a été remis pour information le 17 mai dernier au Conseil ECOFIN (Ministres de l’économie et des finances).

Autant de textes (trop, diront certains !) qui sont quasiment en cours de finalisation, et résultent bien sûr du pouvoir de co-décision du Parlement européen sortant et du Conseil.

                                                                                                   Blanche Sousi et son équipe