Garantie des dépôts bancaires – Comment les textes européens organisent-ils la protection des déposants ?

Audrey Turchino
Avocat au barreau de Lyon
Chargée d’enseignement à l’Université Lumière Lyon 2  

 

La crise bancaire qui sévit depuis près de 5 années a eu pour effet, au delà des répercussions directes sur l'économie réelle, d'inquiéter les clients de banques quant à la solidité des établissements de crédit et à la sécurité de leurs dépôts.
La peur de voir s'envoler les économies confiées aux banques a créé un sentiment de doute, marqué par la tentation de conserver son argent et de le retirer aux banques, considérées comme dangereuses.
Cet état d'esprit, qui peut précéder à un mouvement dit de « panique bancaire », a conduit les pouvoirs publics à rappeler l'existence d'un système de garantie des dépôts bancaires. Cela n'était toutefois pas suffisant, et il a été décidé, au niveau européen, de conforter et développer une telle garantie qui existe depuis 1994.
Le 26 mars 2013, le Président de la République, Monsieur François Hollande, a d'ailleurs affirmé que la garantie des dépôts "doit être un principe absolu, irrévocable", à l'occasion de la conférence de presse commune tenue aux côtés de Mariano Rajoy, le chef du gouvernement espagnol, dans le cadre des discussions sur la mise en œuvre d'une « Union bancaire ».

Quels textes européens ?
La garantie des dépôts bancaires résulte de plusieurs textes européens :
– une simple recommandation en 1986 n’imposant donc aucune obligation aux États membres ;
– une directive en 1994 exigeant l’instauration d’un système de garantie dans tous ces États ;
– une autre directive en 2009 améliorant la protection.
On note enfin en 2010, une nouvelle proposition de directive qui  est aujourd'hui encore en cours d’adoption, bien que le mécanisme actuel apporte déjà une protection importante aux déposants, que ces derniers doivent connaître pour sécuriser leurs économies.

En quoi consiste réellement la garantie des dépôts bancaires ?
La garantie des dépôts bancaires est un système reposant sur une mutualisation obligatoire du risque de défaillance bancaire. Il s'agit d’obliger les établissements de crédit recevant des dépôts bancaires à adhérer à un système centralisé (un Fonds de garantie des dépôts) dont l'objet est de rembourser les sommes qui ne pourraient être restituées à leurs titulaires par un établissement de crédit en faillite.
Tous les établissements de crédit participent, par une cotisation spécifique, au financement du Fonds de garantie chargé de la gestion de ces remboursements. Les sommes ainsi réunies doivent permettre, si le cas se présente, de faire face aux remboursements garantis.
Le principe qui prévaut, comme dans toute mutualisation du risque, c'est que la défaillance d'un établissement de crédit demeure un événement isolé : pour garantir la sécurité du système dans son ensemble, il faut avoir des outils adéquats pour gérer une défaillance et éviter une contagion à l'ensemble des établissements du secteur, possible en cas de panique bancaire et de retraits massifs des déposants. Il convient de disposer de sommes disponibles représentant une partie seulement des dépôts nationaux pour assurer la gestion du risque (le montant des sommes récoltées par le Fonds n’est pas égal au total des dépôts bancaires dans l’État concerné, ce qui serait économiquement impossible) : dans un pays, les Etats-Unis, plus habitué que le nôtre aux défaillances bancaires, les ressources accumulées avoisinent 1,5% du montant des dépôts.
Dans la logique de la construction du marché unique, les responsables européens ont décidé de renforcer la sécurité des déposants en imposant à chacun des États membres d’avoir un tel système de garantie des dépôts bancaires.
Dans ce contexte est née la directive du 30 mai 1994 relative aux systèmes de garantie des dépôts.
Ce texte européen avait pour ambition de permettre aux déposants de tout établissement de crédit situé dans l'un quelconque des États membres de disposer d'une sécurité minimale. Il s'agissait également d'éviter les distorsions de concurrence entre établissements de crédit qui, selon les États, étaient adhérents ou non, à un système de garantie des dépôts.
La mise en œuvre de la garantie des dépôts  a été voulue progressive, afin de ne pas fragiliser les États membres dont le système bancaire risquait d'être fortement impacté par l'instauration de nouvelles contraintes, lesquelles s'accompagnent inévitablement de charges financières spécifiques.
La directive de 1994 prévoyait ainsi que chaque État membre se dote d'un système de garantie des dépôts bancaires à hauteur de 20.000 € au minimum, et cela au plus tard le 1er juillet 1995.
Conformément à ces dispositions, les États membres ont développé des systèmes de garantie nationaux, répondant au minimum exigé. Ainsi, les différents États membres ont pu décider de fixer le montant de garantie des dépôts à des niveaux divers. Par exemple, la France avait fixé ce seuil à 70.000 €, le Danemark à 40.000 € alors que de nombreux autres s’en tenaient à la garantie minimale de 20.000 € fixé par la directive.
La garantie est applicable à chaque déposant, dans chacun des établissements de crédit auprès duquel le client a effectué des dépôts. Le montant garanti s'applique ainsi par déposant et par établissement de crédit, quel que soit le nombre de comptes bancaires sur lesquelles les sommes sont réparties au sein d'une même banque.
Au regard de la crainte pesant sur la solidité des banques européennes qui a fait suite à la crise des subprimes et aux faillites de banques que l'on croyait insubmersibles telle Lehman Brothers (le 15 septembre 2008), les dirigeants européens ont considéré que la garantie des dépôts fixée par la directive de 1994 n'était plus suffisante pour préserver la confiance du public dans la sécurité des dépôts.
Le risque d’une panique bancaire entraînant des retraits massifs de dépôts, avec pour effet de mettre les établissements de crédit simultanément dans une situation de défaillance sans possibilité de garantie suffisante, a conduit à l'adoption d'une nouvelle directive le 11 mars 2009, destinée à améliorer et renforcer la protection des déposants.
L'objet principal de cette directive a été de relever le plafond de la garantie des dépôts à 50.000 € au 30 juin 2009, puis à 100.000 € au 31 décembre 2010 et surtout d’instaurer un plafond unique de garantie en Europe alors qu’auparavant il s’agissait d’un minimum. Elle a aussi supprimé la possibilité pour chaque Etat de prévoir que les déposants ne recevraient que  90% de leurs dépôts garantis. Cette sorte de ticket modérateur à la charge des déposants, qui n’a jamais existé en France, avait contribué au Royaume-Uni lors du sinistre de la banque Northern Rock, à créer un début de panique bancaire largement médiatisé.
Ce faisant, l'Union européenne a souhaité adresser un message fort à ses ressortissants, désireuse de leur signifier la bonne santé de son système bancaire et son attachement à protéger, avant tout, la clientèle des établissements de crédit. Cette directive n’a cependant pas mis fin à la possibilité de maintenir, pour certains réseaux bancaires, des mécanismes internes assurant leur solvabilité, mais qui ne sont pas formellement des systèmes de garantie des dépôts. Ce sont des systèmes dit « équivalents ». Il en existe encore en Allemagne et en Autriche ce qui constitue une entrave à véritable homogénéité de la garantie des dépôts dans l’Union européenne, mais aussi une forme de distorsion de concurrence entre les établissements de crédit.

Comment se définit un cas de défaillance d'un établissement de crédit au sens européen ?
La garantie des dépôts ne doit pas être confondue avec un système d'assurance qui interviendrait, par exemple, en cas de fraude sur un compte bancaire.
Il s'agit de prévenir un risque lié à la défaillance d'un établissement de crédit, autrement dit à se substituer (partiellement) à une banque qui se trouve dans l'incapacité de restituer à ses clients les sommes qu’ils ont déposées et qu'ils sont pourtant en droit d'obtenir.
Selon les textes européens, un établissement de crédit est défaillant lorsque les dépôts deviennent « indisponibles » : cette indisponibilité est constatée par les autorités nationales compétentes, qu’il s’agisse d’une autorité administrative (en France, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution – ACPR) ou d’une autorité judiciaire (un tribunal), lorsqu'un dépôt « échu et exigible (…) n'a pas été payé par un établissement de crédit dans les conditions légales et contractuelles qui lui sont applicables ».

Selon les textes européens, quelle est la procédure en cas de mise en jeu de la garantie ? Dans quels délais intervient le remboursement des sommes garanties ?
La procédure devant être suivie est fixée par chaque État en fonction de droit de la faillite applicable. La directive prévoit néanmoins les conditions essentielles de l'intervention du Fonds de garantie.
En 2009, lors de la révision de la directive de 1994, les délais de remboursement des déposants touchés par la défaillance de leur établissement de crédit ont été fortement réduits. Alors que les autorités compétentes disposaient d'un délai de 21 jours pour constater l'indisponibilité des dépôts, la réforme de 2009 a fixé ce délai à 5 jours. Après le constat que leurs dépôts sont indisponibles, les clients doivent, selon les textes européens, faire une déclaration de leurs créances, c'est-à-dire informer le système de garantie national, de l'existence et du montant des dépôts entrant dans le champ de la garantie (certains dépôts pouvant être exclus, comme les dépôts en monnaie autres que celles de l'Espace économique européen). On souligne dès à présent, mais on le verra plus loin, qu’en France, les clients n’ont à ce stade aucune démarche à accomplir.  
Puis, à l'aide des données de l'établissement de crédit défaillant, le Fonds de garantie va écrire aux déposants concernés pour leur indiquer le montant de leurs dépôts qui seront pris en charge au titre de la garantie. Le déposant peut contester le décompte qui lui est ainsi  annoncé.
Le paiement par le Fonds de garantie des sommes représentant les dépôts couverts devra intervenir dans les 20 jours ouvrables à compter du constat de l’indisponibilité des dépôts par les autorités compétentes. Ce délai pourra, pour des « circonstances tout à fait exceptionnelles et pour des cas particuliers », être augmenté de 10 jours ouvrables. Avant la directive de 2009, le délai global d'intervention de la garantie pouvait atteindre 9 mois !

L'Union européenne fixe donc certaines règles. Le Fonds français va-t-il plus loin ?
Certes, la directive de 2009 fixe un plafond de garantie égal à 100 000 € dans tous les Etats membres. Mais pour les modalités de mise en œuvre de cette garantie, elle fixe des règles minimales et laisse donc une certaine latitude aux Etats membres : la protection effective en vigueur peut donc être assez différente d’un Etat à l’autre.
En France, le Fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR) va quelque peu au-delà de ces exigences minimales. Comme nous l'avons évoqué plus haut, depuis sa création en 1999, le Fonds de garantie français se charge d'informer les clients bancaires de son intervention ; ces derniers n'ont donc pas à « surveiller » l'éventuel état de défaillance de leur banque pour demander le bénéfice de la garantie. C’est le Fonds de garantie qui informe les déposants du montant de leurs dépôts indemnisables et de ceux qui ne le sont pas. Jusqu’à cette information, tout déposant dans une banque en France, mais aussi dans ses succursales en Europe, n’a aucune démarche particulière à entreprendre avant d’être informé par le FGDR du montant indemnisable.
On note au passage que la qualité de la protection des dépôts en France est encore améliorée par l'existence de mécanismes spécifiques couvrant certains produits d'épargne. En effet, les livrets A, de développement durable et d’épargne populaire bénéficient d’une garantie totale de l’État, ce qui signifie qu'en cas de faillite de la banque, le client sera remboursé de l'intégralité des sommes qu'il aura déposées sur ces livrets spécifiques.
Tous les autres dépôts (en compte, sur livret, ou plan épargne) relèvent de la garantie du Fonds conformément à la directive. Sur ce point et sur les délais, le Fonds français n’est pas soumis à des contraintes plus fortes. Nous avons toutefois rappelé qu’avant la réforme de 2009, la garantie française était bien supérieure au minimum de 20.000 € prévu par le texte européen, puisqu'elle s'élevait à 70.000 €.
Aujourd'hui, le niveau de garantie est fixé dans tous les États à 100.000 € par banque et par déposants (et non par compte) : il faut bien souligner que ce n’est pas un minimum, mais un montant que tous les États doivent respecter, sans pouvoir offrir une garantie d’un niveau supérieur. Cela évite que les clients de banques situées dans des États moins « généreux » ne soient tentés de retirer leur fonds et de les placer dans un autre État membre.
Pour le reste (procédure, mise en œuvre, délai) les législateurs nationaux ont encore une certaine latitude ce qui entraîne des divergences entre les États.

Le cadre européen de la garantie des dépôts pourrait alors conduire les clients à préférer les établissements de crédit d'un État membre au détriment d'un autre ?
Le fait que la directive impose un cadre et laisse encore un champ d'intervention important aux législations nationales pour prendre les mesures destinées à assurer la garantie des dépôts, a effectivement pour contrepartie de voir émerger une certaine « concurrence » entre les banques des États membres, surtout après la crise financière que nous connaissons. Il existe environ 40 Fonds de garantie différents sur le territoire de l'Union, dont 7 pour la seule Allemagne !
Pour cette raison, la Commission européenne a présenté le 12 juillet 2010 une nouvelle proposition de directive relative à la garantie des dépôts, en changeant de méthode. En effet, ce projet prévoit directement la procédure et les règles applicables, pour permettre d'avoir la même protection dans l'ensemble des États membres.
Ainsi, il est envisagé que, dans tous les États membres, ce soit désormais toujours le Fonds de garantie compétent qui informe les bénéficiaires de son intervention (comme en France). Le remboursement des sommes doit être encore plus rapide, puisque à réaliser dans un délai de 7 jours ouvrables (au lieu de 20 jours actuellement).
Les dépôts en monnaies étrangères hors Espace économique européen, comme le dollar américain ou le franc suisse, seraient désormais concernés par la garantie. En revanche, les États se verraient privés de la possibilité d'ajouter d'autres catégories de dépôts que celles visées par la directive (sauf pour des périodes et types de dépôts limités), le tout afin d'assurer la même protection à tous les déposants de l'Union.
L'information des clients bancaires doit également être renforcée, les banques devant leur remettre une notice indiquant les modalités de la garantie et le Fonds dont elles relèvent lors de l'ouverture d'un compte, ou porter cette information sur les relevés de compte de ceux qui sont déjà leurs clients.
Au-delà de cette amélioration considérable de la situation des déposants, les enjeux de ce projet concerne la fixation, directement au niveau européen, du montant des ressources de chacun des Fonds nationaux, et la création d'un mécanisme de « solidarité » entre les différents Fonds.
Ce sont sur ces deux points centraux que les discussions entre États membres – et même entre instances européennes – demeurent, pour l'instant, bloquées, ce qui explique que, malgré un projet défini en 2010, la nouvelle directive ne soit toujours pas adoptée.
Le texte prévoit que chaque Fonds de garantie national ait en ressources propres une somme représentant 1,5% des dépôts garantis, pour pouvoir rembourser au plus vite les déposants. Par exemple, si les dépôts bancaires dans l’État concerné sont de 100 milliards d'euros, le Fonds devrait disposer, par l'intermédiaire d'une cotisation payée par les banques elles-mêmes, de 1,5 milliard d'euros en caisse. Sur ce premier point de crispation, le Royaume-Uni est l’État le plus opposé, préférant que l'exigence soit abaissée à 1%.
Le second point de blocage est porté essentiellement par l'Allemagne et concerne la mise en œuvre d'un système de « solidarité » entre les Fonds des différents États membres. Le projet de directive prévoit en effet qu'un Fonds de garantie national confronté à des difficultés pour rembourser les dépôts d'une banque en faillite puisse emprunter de l'argent à tous les autres Fonds de garantie de l'Union, en proportion des dépôts nationaux. Berlin craint ainsi d'être contraint de participer pour la garantie d'autres États membres, et à un fort niveau au regard de l'importance de ses dépôts bancaires. Ce nouveau mécanisme serait pourtant une étape nécessaire vers la création d'un Fonds de garantie européen, ce qui est visé à terme dans le cadre de l’Union bancaire.

Cette protection des déposants, y compris entre différents États membres, ne conduit-elle pas à un effet pervers, les banques étant finalement déchargées de toute responsabilité et pouvant ainsi être tentées de gérer leurs dépôts avec un haut niveau de risque ?
La crainte de créer ainsi ce qu’on appelle un aléa moral, existe chaque fois qu’on établit une prise en charge collective d’un risque (voir par exemple les réactions actuelles concernant l'instauration d'une assurance loyers obligatoire en droit français).
Or, s’il est vrai que la garantie des dépôts vise à éviter une panique bancaire et à permettre aux déposants de recouvrer leurs fonds, il n'est pas question de décharger pour autant la banque défaillante et ses dirigeants de leur responsabilité. Comment ?
D’abord, le Fonds de garantie qui a versé les sommes garanties aux clients d’une banque défaillante, devient automatiquement créancier de cette banque pour les montants correspondants. Cela lui permet d’intervenir tout au long de la procédure de faillite de la banque pour essayer de récupérer (en tout ou partie) les fonds dont il a fait l’avance. La banque reste ainsi tenue du paiement des dépôts, qui ne sont pas « effacés » lorsque le Fonds les restitue aux clients.
Ensuite, si dans le cadre de cette procédure, il n’a pas pu récupérer tout ce qu’il avait versé aux clients au titre de la garantie, le Fonds peut agir en responsabilité contre les dirigeants fautifs afin qu’ils soient condamnés à lui payer, sur leurs deniers personnels, des dommages et intérêts.
Les banquiers ne sont ainsi pas « protégés » du fait de l'existence d'un Fonds de garantie et doivent, au contraire, faire preuve de prudence dans la gestion de l'établissement de crédit, sous peine d'être personnellement responsables d'une partie du passif de la banque en faillite.
La protection des déposants telle qu'elle est mise en œuvre aujourd'hui permet ainsi à tout client bancaire de l’Union européenne, y compris les entreprises, de bénéficier d'une garantie importante, fixée à 100.000 € par établissement de crédit.
Les différences dans les modalités de cette garantie existant entre les États membres poussent les responsables européens à envisager la mise en place
 d'un système uniforme, déployé localement, avant de parvenir à terme à la création d'un Fonds unique européen. Cela viendra compléter l'ensemble des mesures en cours d'adoption – dans le cadre de ce qu'on appelle l'Union bancaire – et tendant à résoudre les difficultés d'une banque et éviter ainsi sa faillite, ce qui est sans doute la meilleure protection des déposants. Sur ce point, le législateur français a anticipé les textes européens en donnant des pouvoirs renforcés à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et au Fonds de garantie des dépôts et de résolution.